Les quatre coins du cœur : l’inédit de Françoise Sagan
- Écrit par : Serge Bressan
Par Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Enfin, on sait. Fini, le suspense, après la rumeur galopante surgie dans le monde littéraro-parisien au cœur de l’été. De maisons d’édition en rédactions des journaux, radio et télé, on évoquait un énorme coup éditorial pour ce début septembre 2019. On parlait d’un tirage XXL, environ 250 000 exemplaires, on ignorait le nom de l’auteur et le genre du livre- roman, essai, document. Et puis, ce jeudi 19 septembre, est arrivé en librairies le fameux objet de tous les désirs (du moins, c’est ce qu’espère l’éditeur !). Donc, voici « Les quatre coins du cœur », un roman tiré à 70 000 exemplaires, inédit et inachevé de Françoise Sagan (1935- 2004) dont on célèbre le quinzième anniversaire de sa mort, le 24 septembre. Première question : faut-il s’enthousiasmer de la parution d’un nouveau livre d’une personnalité marquante des lettres françaises de la seconde moitié du 20ème siècle, ou s’interroger sur le business plan mis en place par l’éditeur et Denis Westhoff, fils et héritier de Françoise Sagan ?
D’abord, le résumé de ces « Quatre coins du cœur ». Pour décor, la Touraine, région du Centre de la France. Ludovic Cresson est le fils d’un riche industriel, est marié avec Marie-Laure mais le couple connaît quelques turbulences, est victime d’un grave accident de voiture (faut-il voir là une référence à celui dans lequel, en 1957, l’auteure a failli mourir ?). L’épouse « sophistiquée et sans culture » méprise son mari diminué tandis que sa mère, Fanny (veuve de Quentin, mort dans un accident d’avion) n’est pas insensible au charme de son gendre… On se croirait dans un film de Claude Chabrol ou encore de Jean-Pierre Mocky où l’on décrypte les charmes aussi discrets que vénéneux de la bourgeoisie de province- on est aussi et surtout chez Françoise Sagan. Du moins, peut-on le croire… Du moins, veut-on le croire…
De nombreuses questions demeurent, après la lecture des « Quatre coins du cœur ». Certes, la promo a été assurée (efficacement) par Denis Westhoff, fils et héritier de Françoise Sagan, mais il y a des zones d’ombre, de flou. Bien sûr, le fils héritier assure que « ce livre a été écrit à 99,8% par Françoise Sagan »- et d’expliquer que l’auteure avait relégué le manuscrit dans un tiroir, que les feuillets dudit manuscrit étaient peu lisibles avec des trous dans les phrases et même des passages manquants, qu’il avait servi de base de travail pour un projet d’adaptation ciné par le réalisateur Stéphane Foenkinos (avec Gérard Depardieu, Daniel Auteuil et Carole Bouquet)… On apprend aussi que l’ancien P.D.-G. des éditions Stock, Jean-Marc Roberts (1954- 2013), avait refusé la demande de publication formulée par Denis Westhoff, au motif que le texte abimerait l’image et la réputation de l’auteure…
Les éditions Plon ont, elles, dit oui à Westhoff- à condition que le texte inachevé soit dépoussiéré, retravaillé, complété. Ce qu’a effectué le fils-héritier qui assure qu’on a là un livre extrêmement « saganesque ». Pourtant, dans le marigot parisiano-littéraire où les crocodiles éprouvent un plaisir immense à se dévorer les uns les autres, on assure que Plon, qui avait édité à perte des livres de Françoise Sagan, aurait trouvé là un bon moyen de rentrer dans ses frais et investissements. La promo a fonctionné à merveille avec des « exclus » pour une radio et un journal quotidien, des commentaires enthousiastes de chroniqueurs zélés et jamais désintéressés, des critiques mesquines justifiées par la jalousie de ne pas avoir été retenu par l’éditeur pour l’« exclu »… N’empêche ! à la lecture, il y a aussi et surtout cette étrange sensation, cette perturbante impression : celle de lire un livre rédigé par l’intelligence artificielle, par une machine qu’on aurait nourri avec toutes les données caractéristiques du monde « saganesque ». Ce qui donne un livre non pas inachevé, mais déshumanisé, désincarné…
Les quatre coins du cœur
Auteur : Françoise Sagan
Editions : Plon
Parution : 19 septembre 2019
Prix : 19 €
Extrait
« La terrasse de La Cressonnade, encadrée de quatre platanes et dotée de six bancs vert-ville, était majestueuse. Et la bâtisse avait dû être jadis une belle et vieille maison de province, mais elle n’était plus belle ni même vieille. Ornée récemment de minarets, d’escaliers à ciel ouvert et de balcons de fer forgé, elle réunissait deux siècles d’un coûteux mauvais goût qui dénaturait le soleil, les arbres, le gris de son gravier et le vert de son entourage. Le perron, formé de trois marches grises, plates, était gardé d’une rampe dans un style médiéval, point final de son inesthétisme.
Mais les deux personnes assises sur un banc, en face, chacune à un bout, n’en semblaient pas gênées. La laideur est souvent plus facile à regarder que la beauté… »