East Village Blues : Chantal Thomas entre hier et aujourd’hui…
- Écrit par : Serge Bressan
Par Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / On la connait historienne spécialiste (parmi les meilleures) du 18ème siècle- pour, par exemple, ses écrits sur Marie-Antoinette, Sade et Casanova. Chantal Thomas est aussi romancière- avec, à son actif, quelques textes aussi remarqués que remarquables comme « Cafés de la mémoire » (2008) ou encore « Souvenirs de la marée basse » (2017). Des textes où l’autobiographie est prégnante. Un genre dans lequel l’auteure continue, à 74 ans, sa quête- à preuve : son nouveau (et impeccable) livre, « East Village Blues ». Le récit d’un voyage à New York en 2017 dans l’East Village, là où quarante ans plus tôt, elle avait débarqué après avoir présenté à Paris sa thèse sur le « divin marquis » Sade sous la haute autorité de Roland Barthes. Hier, aujourd’hui. Un texte au présent, au passé pour une remontée dans le temps.
Formée au structuralisme et nourrie aux lectures de Maurice Blanchot, Chantal Thomas se souvient de ce séjour dans le Lower East Side, alors « un quartier dangereux, un quartier de braquages et de violences, d’exposition à nu de la misère, mais coexistant avec quelque chose de désuet, des moments de douceur, des pauses de respiration venus de temps anciens et d’une époque lointaine ». Promenade en deux temps. Pour dérouler encore et encore un fil qui tisse l’œuvre de l’auteure, toute habitée par « la quête de la liberté sous toutes ses facettes. Le plaisir d’écrire et, en général, mon rapport au plaisir. L’idée de l’invention de soi, la façon dont on construit sa vie comme un chef-d’œuvre, en intégrant l’échec, s’il le faut, comme Thomas Bernhard. Le rapport aux lieux : je les vois vraiment comme des personnages- les cafés, les plages, les rues de New York, Versailles… Et aussi le voyage: c’est banal de le dire, mais bouger crée un rapport plus intense au monde ».
Souvenirs, flash backs, impressions du moment présent, déambulations dans la ville- celle qu’on surnomme « Big Apple ». La Grosse Pomme. Chantal Thomas y a croqué à pleines dents seulement l’East Village, là où elle a vécu à plusieurs reprises. Au fil des pages, se suivent, se bousculent, s’entrechoquent personnages, choses vues, images et histoires- ça va, ça vient, récit ponctué par les photos de graffitis et de déchirures d’Allen S Weiss. Alors universitaire, Chantal Thomas plonge dans ce New York brouillon, où la liberté n’est pas uniquement un mot, mais un enchantement. On y croise des clochards, des migrants (pour l’essentiel, venant de l’Est) et aussi des artistes- « on y entendait le yiddish, le polonais, l’italien, tout ce dont est construite l’Amérique ». Retour sur le présent, remarque sur ce quartier « en train de devenir ultrachic, les loyers y sont parmi les plus chers, mais l’ancien est encore un peu visible sous le polissage ».
« East Village Blues », c’est aussi des personnages. Des écrivains « machos », des initiateurs de la Beat Generation, des poètes et des dynamiteurs parmi lesquels Andy Warhol et « ses yeux de mort-vivant »ou encore Lou Reed. Ils ont fait les années 1960- 1970. Il y avait également Patti Smith, la chanteuse « mère » du mouvement punk- grunge, et le photographe Robert Mapplethorpe qui vécurent au mythique Chelsea Hotel… Patti Smith, aussi, à St Mark’s Church- « le théâtre de la parole fulgurante », selon la chanteuse de Horses. Et encore Cynthia, la colocataire qui emmène Chantal Thomas au Bonnie & Clyde’s- une boîte lesbienne qui rappelle à la jeune femme française le Katmandou à Paris : « Le Katmandou vous branchait sur l’échappée d’un ailleurs. Le Bonnie & Clyde’s sur un combat ». Quarante ans plus tard, Chantal Thomas remonte le temps. Comme un pèlerinage dans un village où aucune plaque ne commémore le temps passé. Tout juste y percevrait-on la voix de Leonard Cohen ou le saxo alto de Charlie « Bird » Parker dans ce décor où « un doux capharnaüm régnait »…
East Village Blues
Auteur : Chantal Thomas (Photos d’Allen S. Weiss)
Editions : Seuil
Parution : 18 avril 2019
Prix : 21 €
[bt_quote style="default" width="0"]Pour que la magie opère, il n'est pas nécessaire de partir loin. Il suffit de dévier de la routine, de la petite route du quotidien, de se décaler par rapport aux horaires ordinaires, découvrir de nuit ce que l'on est habitué à fréquenter de jour, ou, à l'inverse, prendre le goût de l'aube, ou bien encore, tout simplement, changer de trottoir, sortir des sentiers battus, fendre le flot et aborder sur l'autre rive, entrer dans la musique de la vie et, sur son tempo, d'un pas amusé et tranchant, d'un pas décidé et dansant, s'accorder à la voix qui chante.[/bt_quote]