« Bien-être » de Nathan Hill : l’amour en pente douce…
- Écrit par : Serge Bressan
Par Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Soit Jack et Elizabeth. « Il vit seul au troisième étage d’un vieil immeuble en brique dans vue sur le ciel. Quand il regarde par la fenêtre, il ne voit que sa fenêtre à elle- de l’autre côté de l’étroite ruelle, presque à portée de main, où elle vit seule, elle aussi, au troisième étage d’un autre vieil immeuble.
Il ne connaît pas son prénom, ni elle le sien. Ils ne se sont jamais parlé. C’est l’hiver à Chicago ». Quelques pages plus loin, on apprend qu’il « a besoin de légumes dans sa vie. De potassium et de fer. De fibres et de fructose. De céréales denses et savoureuses et de jus colorés », qu’elle « a décoré son appartement de cartes postales des endroits qu’elle a sans doute visités (…) et de reproductions d’œuvres d’art encadrées (…). Elle lit immodérément, n’importe quoi quand, allume sa lampe de chevet jaune à deux heures du matin pour feuilleter de grands livres encombrants… » C’était les premières années 1990, Chicago vibrait de la bohême artistique où vivent, alors, une étudiante en psychologie et un photographe rebelle. Ils habitent en face l’un de l’autre, s’épient… vont se rencontrer, c’est « Bien-être », le deuxième, épais (près de 680 pages) et étourdissant roman de l’écrivain américain Nathan Hill.
Cet auteur, on l’avait découvert en 2017 avec son premier roman, « Les Fantômes du vieux pays », une fresque américaine qui lui avait demandé dix ans d’écriture. Né en 1975 dans l’Iowa, il a été un peu plus rapide pour « Bien-être », ce deuxième roman qui a nécessité sept ans de travail ! Conteur surdoué, il confie sa méthode, se référant à ces « Livres dont vous êtes le héros » qu’il dévorait, enfant : « Prendre des personnages, voir pas à pas où les mène telle décision, puis telle autre… J’adorais ça. Et il faut bien dire qu’écrire un roman c’est un peu la version adulte de ce jeu ». La méthode que le cinéaste Alain Resnais avait décliné pour son double film, « Smoking / No Smoking » (1993)… La méthode de Nathan Hill pour étudier, muni d’un scalpel, au plus près une vie de couple…
Ainsi, voilà lectrices et lecteurs emporté.e.s à Chicago. Tout est dans les pages de « Bien-être ». La ville, ses charmes (s’il en reste), ses tourments… et un homme et une femme. Avec eux, c’est la vie qui va. Une histoire commune entre « chronos » et « kaîros »- ce qu’explique à Jack un ami d’université : le « chronos », c’est « le temps linéaire qu’on peut compter », le « kaïros », c’est « l’expérience subjective du temps. Un moment décisif dans la vie, un instant de vérité, un changement importa, une opportunité, l’impression que le passé crève la bulle et s’invite dans le présent. Tout ça. Quand l’histoire débarque dans le moment qu’on est en train de vivre, on fait l’expérience du ‘’kaïros’’ ». Ce qui conduit l’auteur à ne pas s’en tenir à l’ordre chronologique des parcours de Jack et Elizabeth. Il se sont épiés, rencontrés ; une histoire d’amour commence, ils se marient, ont un enfant (qui se révélera « difficile »), la vie est à eux- leurs rêves d’avenir différent, le milieu dont ils sont issus divergent, la question se pose : l’amour va-t-il résister au temps qui, inexorable, passe ? Vingt ans après la rencontre, la réalité est là : Jack vivote en vacataire çà l’université, Elizabeth dirige la clinique du Bien-être, ils envisagent l’achat d’un appartement sur plan…
Nathan Hill n’a pas son pareil pour passer le couple à la moulinette, l’amour à la machine « pour voir si les couleurs d’origine peuvent revenir ». Bien sûr, Jack et Elizabeth ne veulent surtout pas finir comme tant et tant d’autres couples, eux qui sont entourés de personnages comme Brandie mère et épouse « parfaite », comme Kate et Kyle couple aussi libre qu’infidèle ou encore d’autres du temps passé. Texte-événement de cette rentrée littéraire d’été 2024, « Bien-être » est n’est pas seulement un livre essentiel, c’est aussi le roman de la manipulation, du paraître, de la société contemporaine…
Bien-être
Auteur : Nathan Hill
Traduction : Nathalie Bru
Editions : Gallimard
Parution : 22 août 2024
Prix : 26 €
Extrait
« Tout commence ce soir-là, au moment où Jack lui tend la main à l’Empty Bottle et dit ‘’Viens avec’’, phrase inachevée qu’Elizabeth achève en acquiesçant d’un signe avant de mêler ses doigts aux siens, et ensemble ils marchent dans les bourrasques de neige et le froid glacial, et pour la première fois de l’hiver les températures négatives ne sont plus oppressantes mais ‘’hilarantes’’, les poussant à se blottir dans les halls d’immeubles et les ruelles pour échapper au vent, à se frotter les mains en riant, à courir vers le prochain refige, pour rejoindre, en faisant les fous tout au long, un bar de Division Street où, pendant qu’ils se racontent avoir tous les deux adoré la chanteuse, ils la perdent justement de vue, elle et sa petite cour… »