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Sarah Lotz : une croisière d'horreur, remarquablement contée

  • Écrit par : Catherine Verne

Jour quatrePar Catherine Verne - Lagrandeparade.fr/ Histoire d'horreur, remarquablement contée. La montée de la tension est sous contrôle, l'ambiance méticuleusement soignée, la construction de l'univers sans failles. Sarah Lotz se confirme avec ce second de ses thrillers publiés chez Fleuves comme une pro du genre. Elle distille la terreur à petites doses crescendo pour piéger le lecteur au beau milieu de nulle part, dans un no man's land qui hésite entre l'antichambre des enfers et le Triangle des Bermudes, mais qui semble surtout toucher aux confins limbiques du psychisme humain. Difficile donc de mettre des mots sur la problématique traitée ici, car impossible -et inapproprié sans doute- de rationaliser une aventure qui se déploie franchement au coeur de l'irrationnel. Ce qu'on sait, c'est que des passagers se retrouvent lors d'une croisière confrontés à l'horreur à partir de leur quatrième jour de navigation insouciante. On suit en particulier le destin tragique d'une poignée d'entre eux, qui deviennent familiers, voire attachants, chapitre après chapitre. Si le temps -et ainsi la lecture- profite encore d'un semblant de structuration du fait de ces balises, l'espace romanesque, lui, explose bien vite, dispersant ses repères académiques (terre, mer, port, ville) pour épouser la géométrie non-euclidienne d'un univers dilaté qui subit par à coups des contractions temporelles et spatiales hautement destabilisantes. C'est ainsi toute la perception humaine qui devient mouvante, sans plus proposer à la conscience de socle fiable: est-on ici? est-on déjà ou encore là? demain a-t-il bien succédé hier? des années ou des mois ont-ils passé en quelques jours? Bref: plus rien ne va en ce quatrième point isolé sur ce plan parallèle au réel, dont la trame insensée rappelle la fameuse "quatrième dimension". Dans les faits ici relatés, un navire prend des allures de vaisseau fantôme: en son sein la mort côtoie la vie, et l'illusion, l'authenticité. Derrière le talent de la romancière à horrifier, s'édifie toute une réflexion autour de deux axes forts, l'un sur ce qu'est la réalité et l'autre, sur ce que c'est que mourir. Alternant d'un pôle à l'autre de ces équations existentielles, l'auteur crée des effets de tangage formidables, et quoi de plus normal à bord d'un navire basculé à l'oblique dans un décor marin qui s'est démonté? Sarah Lotz manie à la perfection son gouvernail pour transmettre à ses lecteurs la nausée qui s'empare des voyageurs de cette croisière diabolique, épuisant les registres du glauque en multipliant les descriptions morbides: bouffées nauséabondes, miasmes infectieux, déjections immondes grouillent un peu plus sur scène à chaque étape du récit construit comme une spirale infernale. Ce monde sordide est à l'image des rebuts de la société que l'auteur épingle sur sa toile comme des insectes séchés pour leur infliger une sorte de jugement dernier, pas piqué des vers- si l'on ose dire: escroc médiatique, tueur en série, parasite consumériste, vermine sans scrupules, etc. se côtoient dans un labyrinthe sans issue apparente, condamnés à composer les uns avec les démons des autres. C'est que, contaminé par la dislocation de l'espace, le temps enroue sa mécanique et implose aussi, se vidant de sa trame linéaire. Alors s'engouffre dans cette brèche vertigineuse un tourbillon immobile: celui de l'éternité. Dans ce décor sans dessus-dessous, l'horreur a désormais tout le temps devant elle pour faire son office, et chaque pénitent de devoir regarder son salut s'éloigner de lui chaque jour un peu plus comme la côte, tantôt quittée joyeusement en fanfare, pour une croisière de... cauchemar. En écho à cette impression de sur-place terrifiante, le roman se termine comme s'il n'avait jamais été autre chose qu'une introduction en vertu de cette impitoyable évidence: c'est toujours dans l'oeil du cyclone que l'équipage se croyant le plus épargné est en fait le plus menacé par les déferlantes.

Jour quatre
Auteur: Sarah Lotz
Editeur: Fleuve Noir
Parution: 10 mars 2016
Prix:19,90 euros


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