« L’encre vive » de Fiona McGregor : à la recherche du bonheur
- Écrit par : Serge Bressan
Par Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Quand, en 2010, est paru « Indelebile Ink », la presse australienne n’a pas longtemps hésité- et a évoqué au sujet du troisième roman de Fiona McGregor une parentèle avec « Les Corrections » (2001) de l’Américain Jonathan Franzen. Oui, il y a de cela mais pas que… La romancière et artiste performeuse australienne née à Sydney en 1965 sait à la perfection mixer les genres- ainsi, avec « L’encre vive » (son premier roman traduit en français), elle fait cohabiter le portrait d’une femme en quête d’identité et des considérations pertinentes sur la société australienne contemporaine.
Donc, au cœur de « L’encre vive », une femme de 59 ans. Marie King a divorcé voilà peu… Dans le quartier résidentiel de Sydney, la vie va son cours. Une vie peut-être pas banale, simplement ordinaire- ses trois enfants ont quitté la maison, alors elle entretient son jardin. Il semble aussi qu’elle boive- un peu trop, lit-on : « Elle n’aurait su dire si elle avait besoin de rendre visite à sa mère pour boire ou si elle avait besoin de boire pour lui rendre visite ». Et puis, elle n’a pas corrigé son train de vie. Elle vit sur ses économies qui, inévitablement au fil des semaines et des mois, fondent. Alors, elle l’admet : il faut vendre la maison « familiale ». Cette maison vidée de ses œuvres d’art et meubles les plus précieux par Ross, son mari, quand il est parti. Le banal de la vie qui va… Un soir plus ordinaire que les autres, elle sort. En ville, elle va boire plus que de raison. Sur un coup de tête, entre dans un salon de tatouage. En sort, une rose tatouée sur l’omoplate…
Marie King éprouve la douce sensation de la transgression. Jusqu’alors, elle n’a rien vécu d’autre que l’ordinaire. Et là, sortant du salon de tatouage, elle éprouve une étrange sensation. Comme si on lui avait balancé une décharge électrique… Après la rose dessinée à l’encre vive, il y aura donc d’autres tatouages pour Marie King qui se lie d’amitié avec Rhys- celle-ci l’emmène à la découverte de Sydney, une ville de tous les possibles. Evidemment, en bagarre pour l’héritage et ne développant qu’un sentiment aigri pour cette femme en fin de cinquantaine, les trois enfants s’inquiètent : leur mère a tant changé. Ses amis de ce Sydney résidentiel ne la décodent plus mais qu’importe ! Marie ne se sent plus le moindre point commun avec eux. C’est le bon moment pour prendre enfin le contrôle de sa vie.
La presse australienne a pointé des airs de famille entre Jonathan Franzen et Fiona McGregor. On pourrait, et ce serait plus pertinent, évoquer un autre Australien : Christos Tsiolkas, l’auteur de, entre autres, « La Gifle » (2008) et « Barracuda » (2014). Si Tsiolkas pratique l’affrontement frontal, McGregor joue plutôt la subtilité et la douceur mais n’empêche ! tous deux savent relever les bosses des personnages et pointer le dysfonctionnement d’une société, en l’occurrence l’australienne. Fiona McGregor pratique aussi l’art de prendre le temps : avec « L’encre vive », elle promène le lecteur dans une fresque au long cours, fouille le moindre de ses personnages tout en emmenant son héroïne sur le chemin de la rédemption. Et c’est ainsi que « L’encre vive » est un roman à la recherche du bonheur…
L’encre vive
Auteur : Fiona McGregor
Editions : Actes Sud
Parution : 13 mars 2019
Prix : 23,50 €
[bt_quote style="default" width="0"]Le samedi suivant, après un déjeuner chez Mario, Susan proposa à Marie de faire un saut au nouveau magasin de meubles dans Macleay Street. Elles s’y rendirent dans sa voiture, car Marie avait pratiquement bu à elle seule les deux bouteilles commandées pendant le repas. Elle fit le trajet la main dans son sac, refermée sur son portefeuille, en fredonnant d’excitation. Qui sait ce qu’elle pourrait dénicher là-bas, parmi tous ces objets attendant qu’on leur donne un foyer et une vie ? Elle n’oubliait pas la pile de factures impayées, mais elle possédait une maison à Sirius Cove, c’était son anniversaire, et n’y avait-il pas quelque chose d’exaltant à dépenser quand on était dans le rouge ? Ah, le plaisir d’apposer une signature désinvolte sous une somme qui aurait pu la nourrir pendant des mois ! D’agir en toute liberté, en toute insouciance... Elle suivit son amie dans la boutique. Un vendeur au fond les remarqua dès leur entrée. Marie aimait bien accompagner Susan, une grande blonde séduisante aux longues jambes bronzées et aux chevilles si délicatement galbées qu’elles semblaient sculptées dans le bois. Marie était la charmante ronde du duo, la plus accessible, quand Susan représentait la tentation.[/bt_quote]