Ne rions plus : la taxe sur le » Bonheur Vécu » nous attend !
- Écrit par : Félix Brun
Par Félix Brun - Lagrandeparade.fr/ Difficile d’imaginer qu’un Etat en recherche permanente de ressources financières se laisse aller à imposer le "Bonheur Vécu" par ses habitants ? Et pourtant que constate-t-on ? « Les gens sont très malheureux. La plupart vont mal ! Ils souffrent. Ils sont pauvres, malades, prennent des médicaments, sont angoissés, ils ont peur, ils s’inquiètent. Ils sont stressés, pris de panique, ont du chagrin, mauvaise conscience, sont sous pression, ont des problèmes de sommeil et des difficultés à se concentrer, ou bien sont justes las, on les remet en question, ils se sentent injustement traités. Trompés, ratés, coupables, tout ce que vous voulez. La plupart des gens vivent, au grand maximum quelques années de relative insouciance pendant leur enfance. Ce n’est que là qu’ils obtiennent leurs points. Après, tout est très sombre. » A partir ce cette constatation, l’administration technocratique et kafkaïenne va analyser et établir un indice du « Bonheur Vécu » : « Il se calcule au moyen d’une matrice qui prend en compte l’âge, le lieu de résidence, le vécu individuel, le succès, la proximité de la mer. Ce genre de choses. La qualité du logement et des relations, etc…Ce qui permet à la fin de calculer votre indice de Bonheur Vécu. »
Ainsi le narrateur va recevoir une facture colossale à payer ; elle ne fait qu’augmenter au fur et à mesure que l’analyste détaille sa vie. Ce gentil garçon célibataire, paisible, sans ambition, d’un optimisme démesuré, se contente de cette existence, du peu qu’elle lui offre, il a la force extraordinaire de relativiser, de savoir extraire quelques quintessences de bonheur de la banalité de son quotidien : « j’avais ça depuis toujours dans un coin de ma tête. Ce sentiment que la vie ne pouvait pas être aussi simple. » En contestant le montant de son imposition, il se heurte au mur de l’absurde : "Je peux avoir une déduction pour mes journées d’angoisse ?"
A la fois caricature aux accents kafkaïens et fiction contemporaine d’un état en faillite de prospérité individuelle et de finances publiques, ce livre est avant tout une réflexion sur le bonheur. "D’une certaine façon la vie était juste si belle. Normal qu’elle vaille cher."….et de s’interroger sur ce qui nous rend heureux, sur notre aptitude à jouir du quotidien, à savourer tous les instants de notre vie.
A travers ce rebelle bienheureux face à la morosité et l’insatisfaction généralisée, Jonas Karlsson livre un roman plaisant, aux dialogues animés ; ce morceau de bonheur devrait être prescrit à tous les renfrognés, les tristes, les aigris, les atrabilaires, les lugubres, les mélancoliques, les désenchantés, les sinistres et les trouble-fêtes...L'on aspire à suivre le modèle de ce héros malgré lui qui avoue: "Je continuais à être désespérément heureux. Pour la première fois, j’ai eu la pensée vertigineuse que le montant de mon indice de Bonheur Vécu était peut-être même sous-évalué."
Mais au fait, c’est quoi le bonheur… ?
La facture
Auteur : Jonas Karlsson
Traduction : traduit du suédois par Rémi Cassaigne
Edition : Actes Sud
Parution: juin 2015 - Prix: 17€