Villa Vortex : l'oeuvre d'avant la chute, ou l'annonçant...de Maurice G. Dantec
- Écrit par : Catherine Verne
Par Catherine Verne - Lagrandeparade.fr/ C'est la fin du monde selon Maurice Dantec. Son dernier roman publié par Gallimard. L'oeuvre d'avant la chute, ou l'annonçant. On trouve dans ce premier tome de "Liber Mundi" les leitmotivs du romancier décédé en juin dernier, dont le nihilisme et le monde technologique développé à outrance, entre autres composantes du genre qu'il a inventé, le "cyber-polar". Le héros est un policier qui enquête sur des meurtres isolés et fragmentant le temps et l'espace européen déjà en proie à la dislocation politico-sociale.
Ces meurtres non résolus pourraient bien être reliés entre eux et imputables à un psychopathe. Dans un monde qui a exilé Dieu à sa périphérie, Dantec met en cause le progrès idolâtré qui prolifère comme un cancer sans centre. Le héros pourrait bien en constituer l'oeil, comme on dit des tornades tourbillonnant sur elles-mêmes, l'oeil qui s'efforce de se regarder et occupe du vortex l'angle aveugle à la fois. Ou le rouage, pour reprendre la métaphore dominante du livre, car tout le décor planté ici suinte l'univers des machines, donc du spectacle et de l'artifice obscène: le meurtrier est un expert roboticien, les scènes de crime sont des usines, même le ciel est bleu électrique et les rires sonnent en hoquets mécaniques. Le héros lui-même s'alimente de drogue et de café synthétique. Il parle alors qu'il est déjà mort, dans une explosion survenant dès le début du livre. Bref la redondance du simulacre est parlante ici. C'est peut-être le sujet du livre en somme, par ailleurs relancé en permanence de citations culturelles suggérant une interrogation clairement philosophique. Comme si la clé de l'énigme pouvait être une parole, qui guérisse le monde d'un mal polymorphe intubé dans ses veines, un code délivré par la consultation assidue d'une bibliothèque géante à l'initié. Beaucoup de références littéraires ponctuent l'intrigue justement ici, manifestes ou évidentes. Et d'abord à "l'Eve future" qui devient ici une enfant sacrifiée à l'autel de la cyber-religion, née de la fée électricité et du monstre de Frankenstein, poupée mécanique parlant encore outre-tombe, comme le narrateur, et qui s'inscrit dans la lignée exsangue qu'ont fantasmée les fabricants d'automates. L'écriture sert cette impression générale d'amassement chaotique contaminant le propos, car la difficulté quand on recout des morceaux pour simuler la vie, c'est toujours que le fil ne se voie pas. Ainsi le roman souligne en même temps qu'il la dénonce toute entreprise de cohésion sociale, verbale, psychologique, qui ne soit pas hallucinatoire. Il sert la démonstration du positionnement philosophique d'un auteur par ailleurs polémique, au style indéniablement talentueux.
Villa Vortex de Maurice G. Dantec
Editeur: Folio
Parution: 16 juin 2016
Prix: 14,40 euros