« La tempête qui vient » de James Ellroy : un véritable feu d’artifice !
- Écrit par : Serge Bressan
Par Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Tout simplement, une marque de fabrique. Il balance sa grande carcasse (1,90 m sous la toise), et c’est parti pour le show. Un show signé James Ellroy, 71 ans et considéré comme le « maître du polar » américain contemporain. Dans une émission littéraire à la télé, il n’hésite pas faire le cri du chien, lui qui s’est surnommé « demon dog ». Ces temps-ci, il est en tournée en France. Et il fait l’actu avec quelques formules bien senties : « Le lynchage, c’est ma came », « Que ça vous plaise ou non, je vis dans le passé » ou encore « Je suis convaincu que j’irai au paradis ». On ne sait toujours pas s’il joue un personnage ou s’il savoure la provocation…
Et puis, il y a « La tempête qui vient ». Après « Perfidia » (paru en 2015), c’est le deuxième tome de sa seconde saga, « Quatuor of Los Angeles ». On s’accroche, c’est chaudement recommandé, avant de se lancer dans ce nouveau pavé de près de sept cent pages. On s’accroche parce que ça déménage- comme si souvent, quasi toujours avec James Ellroy, l’écrivain aux chemises hawaiiennes. Donc, tout commence dans la nuit du 1er janvier 1942. Depuis trois semaines, les Etats-Unis sont en état d’alerte- l’armée japonaise a bombardé Pearl Harbor, les Américains s’apprêtent à entrer en guerre… A Los Angeles, les Américains d’origine japonaise sont arrêtés en nombre et il fait un temps pourri, il pleut, on annonce une tempête. On découvre un corps dans Griffith Park après un glissement de terrain, les policiers du LAPD (Los Angeles Police Department) concluent à une affaire ordinaire, ils n’enquêtent pas plus que cela. Evidemment, ils se trompent. Pis : il se pourrait bien que ce corps découvert ne soit que le début du chaos…
Maître du roman noir et auteur de, entre autres, « Le Dahlia noir » (1987) et « L.A. Confidential » (1990), Ellroy a prévenu : « C'est toujours l'Histoire qui a compté pour moi. Le présent, je l'ignore… Ça ne m'intéresse pas: je ne veux pas écrire dessus, je ne veux pas en parler et je ne veux répondre à rien d'autre que des questions sur la Seconde guerre mondiale ». Il dit aussi : « J’adore les meurtriers, les communistes, les fascistes, les lynchages, c’est ma came ! » Sur la méthode, il confie avoir rédigé un plan de 400 pages pour « La tempête qui vient » (rappel : près de 700 pages). Tout y est consigné : les personnages (une bonne douzaine de personnages principaux), les ressorts de l’intrigue, les moindres détails…
Il pleut sur Los Angeles. Un incendie. Un braquage. Une Cinquième Colonne menaçante, les nazillons surexcités, des trafics en voulez-vous en voilà des deux côtés de la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique. Des morts, encore et encore- on retrouve le cadavre de deux flics dans une planque de drogués. Un attaché naval japonais disparu. Sans oublier des intrigues amoureuses… et des personnages du plus bel effet, au premier rang desquels Dudley Smith, flic aussi pourri que salaud, sergent prêt à vendre comme esclaves les Américains d’origine japonaise que le LAPD a arrêtés, le genre de type qu’on adore détester.
Il y a aussi Kay Lake (héroïne du « Dahlia noir » et de « Perfidia ») : Smith se sent attiré par elle, le capitaine Parker l’aime en secret. On déroule : Elmer Jackson, sergent à la brigade des mœurs du LAPD et « bagman » de Smith, surveille Hideo Ashita qui bosse à la police scientifique de L.A. et est soupçonné de collusion avec l’ennemi, lui qui est d’origine japonaise. Et aussi la belle Joan Conville, engagée dans la Navy, accusée d’avoir provoqué en état d’ébriété un accident qui a tué quatre Mexicains en situation illégale et porteurs de marijuana. Il y a aussi Claire de Haven, et tant et tant d’autres. On a, à la lecture, la sensation que ça part dans tous les sens, un véritable feu d’artifice que cette « Tempête qui vient ». Mais avec James Ellroy, surnommé aussi « le Chacal », tout se rejoint en une explosion finale de folie. « Ce que je veux, c'est écrire des putains de gros pavés, avec une vision épique et de belles couvertures », glisse l’écrivain qui ne regarde, à la télé, que les matchs de boxe… avant d’ajouter : « J’ai créé un genre à moi tout seul »- « La tempête qui vient » en est bien la preuve parfaite !
La tempête qui vient
Auteur : James Ellroy
Traduit par Sophie Aslanides et Jean-Paul Gratias
Editions : Rivages / Noir
Parution : 6 novembre 2019
Prix : 24,50 €
Extrait:
« Je reste envoûté par le sortilège. Je subis encore cette fièvre provoquée par le passage de naguère à aujourd’hui. Je suis très âgé, à présent, et je reste le dernier témoin vivant. Le Maestro m’a légué son piano et la partition que nous avons rapportée en fraude depuis la Russie. Ma vue et ma mémoire sont intactes. De longues séances d’exercices musculaires ont préservé la force de mes mains.
Je compose au clavier. L’improvisation fait resurgir les souvenirs. Les mots et la musique me soutiennent et renforcent mon rejet de la mort.
La guerre
La pluie
L’or.
Los Angeles et le Mexique, la Cinquième Colonne.
Je ne mourrai pas tant que je vivrai cette aventure ».