Par Guillaume Chérel - Lagrandeparade.fr/ Le directeur éditorial du Cherche-Midi s'est éteint à l'âge de 67 ans au printemps dernier, après avoir mis le point final à « L’Eloge de l’imposture », un essai qui lui ressemble bien puisqu’il a failli l’intituler : « Pour en finir avec l'espèce humaine et les Français en particulier »… Du pur Drachline, cet as du pamphlet, comme on n’en fait plus, à la radicalité coléreuse, désespérant du genre humain.

Il y avait un aspect Cioran chez Drachline, pour son pessimisme, mais aussi du Léautaud et du Céline pour sa lucidité caustique. Dans le monde des lettres, cet homme tenait une place à part. On le remarquait d'abord avec sa crinière blonde de lion, ses lunettes arrondies et son sourire espiègle. Avec le Philippe Héraclès, PDG du Cherche-Midi, ils publiaient régulièrement des ouvrages pleins d'esprit, drôles ou cocasses. Sa bibliographie est riche de livres qui mettent à l'honneur le « sens de l'humour » (titre d'une des collections du Cherche-Midi) comme « Le Dictionnaire humoristique de A à Z ; le Dictionnaire humoristique des Surréalistes et Dadaïstes ; Les Marx Brothers : pensées, maximes et anecdotes ; Le Grand Livre des méchancetés… ».
Mais Pierre Drachline, ce n'était pas que cela. Il savait aussi pousser des coups de gueule salvateurs, notamment dans cet essai explicite où il dénonce « l'immobilisme, la résignation et l'esprit grégaire » de notre société. Il a également écrit « L'île aux sarcasmes », un beau roman d'amour salué par la critique. C’était aussi un fidèle en amitié. Ses plus belles pages sont peut-être celles consacrées à Jean Schuster, Jean-Claude Pirotte, Calaferte ou des poètes à la marge comme Stanislas Rondanski et Jean-Daniel Fabre. Il fut aussi longtemps l’ami de Louis Nucera… Bref, c’est toute une époque qui s’éteint avec lui.
Raoul Vaneigem, qui écrit la préface dit ceci de lui : « Pierre n’était pas de ceux pour qui tirer des salves de boulets rouges contre l’oppression est un feu d’artifice. Il avait l’innocence de penser qu’un cœur meurtri a les meilleures raisons de dynamiter le vieux monde ; que le fulminate de la violence créatrice est paradoxalement le mieux à même de guérir nos plaies existentielles, par la raison que les armes de la vie sont les seules qui ne tuent pas. »
Dans son dernier texte Pierre Drachline cible l'ultralibéralisme : « l'économie cannibale » et son avatar financier, ou les hystéries de l'immédiateté médiatique et des pseudo-révolutions refusaient de comprendre ces femmes et ces hommes toujours plus volontairement soumis à un ordre injuste. « Dans l’ordre de l’imposture, l’humain ne m’a jamais déçu », écrit-il avec la conviction et l’ironie qui furent les siens. Drachline explore le monde de la désillusion et de la supercherie contemporaines. Les fausses valeurs, les consensus mous et la tiédeur généralisée sont passés par les armes d’une dérision salvatrice.
Il n’oublie pas les livres qu’il a aimés et qui l’ont accompagné jusqu’au bout du chemin. Cet essai n’est pas un testament. L’auteur ne lègue que sa lucidité du désespoir et le bonheur de pouvoir encore en rire. C’est ainsi qu’il termine son livre, et sa vie, par un chapitre sur la « Beauté du monde » : « Manifester, en toutes circonstances, un esprit chagrin n’est ni un posture ni une facilité, encore moins une goujaterie de dandy (…) je ne suis pas insensible (…). ». Il cite alors un jour de tempête à Noirmoutier, une silhouette inconnue croisée dans la rue, ou une fois encore de belles amitiés basée sur une « alchimie qu’il ne faut pas chercher à élucider. On n’autopsie pas l’irréel. Le merveilleux. » Sans oublier l’amour, relatée avec pudeur. Drachline livre avec cet ultime pamphlet à la plume acérée un diamant noir intemporel.

Eloge de l’imposture , de Pierre Drachline, préface de Raoul Vaneigem, 145 p, 14, 50 €, Cherche-Midi Editeur.

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