Par Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Ecrivain et critique, scénariste de bandes dessinées et tout prochainement invité du Collège de France où il a été élu à la chaire de création artistique, Benoît Peeters précise d’emblée : « C’est à la fois une biographie, le portrait d’un homme que j’ai connu, admiré et dont j’ai exploré les archives, et à travers lui, une grande aventure littéraire. Peut-être la dernière grande aventure littéraire française. Il y a eu le Surréalisme après la Première Guerre mondiale, il y a eu le Nouveau Roman après la Seconde Guerre mondiale… » Et parce qu’un homme dont on a fêté le centenaire de la naissance cette année (le 18 août) apparaît comme le pivot de cette aventure et qu’il fut aussi controversé qu’original, Peeters lui consacre en cette fin d’été 2022 deux livres, une biographie : « Robbe-Grillet. L’aventure du Nouveau Roman », et un recueil d’entretiens inédits, « Réinventer le roman ».

On lit, en ouverture de la biographie : « Il dérangea, fascina, exaspéra. Il suscita, des années durant, plus d’articles méprisants ou haineux qu’aucun de ses contemporains. Et il s’en félicitait. « J’ai eu de bons ennemis. Je veux dire des ennemis acharnés », reconnaissait Alain Robbe-Grillet lorsqu’on l’interrogeait sur sa célébrité persistante, en l’absence de tout grand prix littéraire ». Né le 18 août 1922 à Saint-Pierre-Quilbignon (un village qui a intégré la ville de Brest, en 1945), après avoir été ingénieur agronome, il se consacre à l’écriture et à la littérature, écrit en 1949 un premier texte, « Un Régicide » qui sera publié en 1978, arrive en librairies avec un premier roman, « Les Gommes », en 1953. Après « Le Voyeur » (1955), c’est « La Jalousie » (1957), « le plus beau roman d’amour depuis Proust » selon Vladimir Nabokov, l’auteur de, entre autres, « Lolita » (1955). Au fil des années, il y aura sept autres romans : « Dans le labyrinthe » (1959), « La Maison de rendez-vous » (1965), « Projet pour une révolution à New York » (1970), « Topologie d’une cité fantôme » (1976), « Souvenirs du triangle d’or » (1978), « Djinn » (1981) et « La Reprise » (2001). Pour le cinéma, il réalisera dix films dont un cultissime, « Glissements progressifs du plaisir » (1974), écrira cinq scénarios dont « L’Année dernière à Marienbad » pour Alain Resnais (1961, Lion d’or de la Mostra de Venise) et fera même deux fois l’acteur pour Alain Resnais et Raul Ruiz. Elu en 2004 à l’Académie française où il n’a jamais siégé, il meurt d’une crise cardiaque le 18 février 2003. Dans les livres de l’histoire de la littérature française, il est tenu, avec Nathalie Sarraute, pour le chef de file du Nouveau Roman.
En quarante-cinq chapitres de longueur inégale, Benoît Peeters raconte donc Alain Robbe-Grillet et aussi l’aventure du Nouveau Roman. Dans « Souvenirs du triangle d’or », Robbe-Grillet se demandait : « Qu’ai-je dit ? Qu’ai-je fait ? » Comme en écho, Peeters lui répond. En dessinant le portrait d’un écrivain et cinéaste assez éloigné de ce qu’il voulait bien laisser paraître, dans la sécheresse de ce Nouveau Roman, tant décrié, tant raillé, tant méprisé. Ainsi dans « Robbe-Grillet. L’aventure du Nouveau Roman », apparaît un personnage quasi attachant, qui fut « l’enfant tourmenté, l’ouvrier du STO, l’ingénieur agronome, le ciseleur de phrases, le sentimental secret, l’éditeur audacieux, le brillant pédagogue et l’infatigable voyageur ». On y ajoutera l’érotomane spirituel, le mari depuis 1951 de Catherine- également écrivaine qui signa des romans BDSM (la rumeur assure que ces livres étaient en fait écrits par Robbe-Grillet lui-même…)…
Cornaqué par l’éditeur Jérôme Lindon et Alain Robbe-Grillet, le Nouveau Roman a mis en lumière les œuvres de Nathalie Sarraute, Marguerite Duras, Claude Simon, Michel Butor, Bernard Pinget ou encore Claude Ollier. « Ce fut une opération particulièrement réussie », écrit Benoît Peeters. « Une association de malfaiteurs », disait souvent Nathalie Sarraute. Une aventure littéraire menée par Alain Robbe-Grillet qui prenait plaisir à répéter : « J’aime bien agacer les gens mais j’aime pas qu’on m’emmerde ». Voilà qui est dit !

Robbe-Grillet. L’aventure du Nouveau Roman
Auteur : Benoît Peeters
Editions : Flammarion
Parution : 7 septembre 2022
Prix : 22,90 €

Réinventer le roman
Auteurs : Alain Robbe-Grillet et Benoît Peeters
Editions : Flammarion
Parution : 7 septembre 2022
Prix : 12 €

Extrait

« Longtemps, le Nouveau Roman est resté mal défini. La photo prise par Mario Dondero en 1959, même si elle a fait date, n’a pas permis de répondre à la question de l’appartenance de tel ou tel à ce groupe aux contours flous : la présence de Claude Mauriac et l’absence de Michel Butor n’en sont que deux symptômes, tout comme le privilège accordé aux Editions de Minuit. Un peu plus tard, la tentative de dictionnaire du Nouveau Roman a tourné court, faute de réelle entente entre les participants. Contrairement aux surréalistes, les écrivains associés au mouvement ne se rencontrent que rarement et presque toujours dans des circonstances publiques. Et la plupart de leurs échanges épistolaires relèvent de la courtoisie davantage que de l’amitié… » (in « Robbe-Grillet. L’aventure du Nouveau Roman »).