En finir avec l’ironie : Pourquery-ronise et pense à la fois
- Écrit par : Guillaume Chérel
Par Guillaume Chérel - Lagrandeparade.fr/ Mon Dieu, mais que dis-tu là ? Je ne peux pas vous laisser dire cela… Combien de fois avons-nous entendu cela ? « Je prends la responsabilité de ce que j’écris, pas de ce que vous comprenez », tente de nous faire comprendre Didier Pourquery, avec son essai « En finir avec l’ironie ? », en « vieux briscard » de la presse papier qu’il est (il fut journaliste à la direction de Libération, du Monde, de La Tribune, d’InfoMatin, Métro, Bild, entre autres…). Poser la question, c’est y répondre en grande partie. Ou comment parler au second degré à un demeuré… Coluche et Desproges nous manquent, dit-on aussi souvent. On ne pourrait plus dire (ou dessiner) cela maintenant… Alors qu’il n’y a jamais eu autant d’humoristes au mètre carré, en cette époque de ricanement généralisé, surtout à la télé, au cinéma, et sur Internet. Pourtant, les sujets ne manquent pas de nos jours. Mais on sent une crispation générale, un retour en arrière, une réaction… des réactionnaires et autres intégristes religieux. Un retour aux « valeurs » prétendument morales.
N’assistons-nous pas aussi à un manque cruel de talent et/ou de courage ? Serge Gainsbourg en avait remis une couche après s’être fait casser la g… par des légionnaires qui ont jugé sa Marseillaise (façon reggae) irrévérencieuse. Or, il ne s’agissait que d’ironie. De second degré. D’humour décalé. De satire… pastiche. Allez faire taire Cavanna, Siné, Reiser et le professeur Choron ? Ou Roland Topor… Même pas mort ! Même Cabu et Wolinski nous font encore rire… Pourquery cite aussi le chanteur Randy Newman, l’écrivain Musil, la série Father Ted, Alphonse Allais. Allez, il y en a d’autres, heureusement. Et la relève est là … Forcément, puisque l’humour est la politesse du désespoir, dit-on. Son révélateur aussi, sa défense, une carapace, le vernis (cf. les clowns tristes, et les comiques à écorchés vifs, à fleur de peau, c’est bien connu).
Cet éloge de l'ironie offre un mode d'emploi de l'esprit léger, « à la française », le meilleur antidote qui soit à tous les interdits et toutes les doxas : « Regardez-moi lorsque je parle au second degré, écrit Pourquery : comme dans un jeu d'enfant, je me raconte une histoire au milieu de la vie quotidienne. Comme tous les jeux, celui-là donne du plaisir : moquerie partagée, complicité de malfaisance légère. Un sourire, un simple sourire est l'enjeu de la partie. Il est urgent de redécouvrir les bienfaits joyeux de l'ironie, les vertus décapantes du second degré... ce mal français qui nous fait tellement de bien. Pour preuve, le Canard Enchaîné, Charlie, Siné-mensuel et le Gorafi ou Groland l’émission qui font de la résistance : « Redouter l’ironie, c’est craindre la raison », disait Sacha Guitry. L’ironie dérange, fait peur, parce qu’elle brûle de vérité, déstabilise. Elle est acerbe, corrosive, décape, réveille, révèle. Comprenne qui pourra.
Mais reprenons depuis le départ. Didier Pourquery travaillait déjà à son essai lorsqu’il entendit Emmanuel Macron dire ceci : « Nous ne céderons rien à l'ironie », le soir de son élection. L'ironie ne serait donc plus au programme. Elle dérange, questionne, bouscule : elle renverse aussi parfois. C'est un sport de combat tout en souplesse, mais qui peut s'avérer redoutable. Didier Pourquery montre ici comment, de Socrate à Daniel Defoe, de Jonathan Swift à Kierkegaard, de Musil à Jankélévitch, les amis de l'ironie ont interrogé le monde sans se lasser. Cet ouvrage va à leur rencontre pour recueillir leurs enseignements toujours délectables et offrir un mode d'emploi de l'esprit léger, le meilleur antidote qui soit à tous les interdits et toutes les doxas. Un programme comme un autre. Mais celui-ci, d'une efficacité assurée. Et puisque nous sommes entre gens d’esprit. Un florilège de mots d’esprit : « Je ne suis pas toujours de mon avis » (Marquise de Sévigné) ; « J’aime voir deux vérités à la fois », surenchérit le moraliste Joubert. « Dans chaque homme, il y a toujours deux hommes et le plus vrai c’est l’autre », conclut Borges. Quant à Cioran, à la question : « Être ou ne pas être », il répond : « Ni l’un ni l’autre », ce qui semble être l’essence même du paradoxe. Une dernière pour la route ? L’actrice américaine Tallulah Bankhead (1902-1968), égérie du milieu gay à l’époque, aurait dit à un prête maniant un encensoir : « Chéri, j’adore ta robe, mais ton sac est en feu. ». Au « dîner de con », Didier Pourquery préfère le « déjeuner de Cuistres » (trop facile de se moquer d’un imbécile heureux…). Dire des horreurs pour voir si un des convives suit, comme au poker. Ainsi, les vraies personnalités se découvrent. Conclusion de Pourquery : l’ironie est une figure de résistance. Le second degré rend la vie plus légère. C’est ainsi qu’il est question d’humour juif puisqu’il se dit qu’on arrivait à rire encore dans les camps de la mort. L’humour plus fort que la mort. C’est le mot de sa fin.
En finir avec l’ironie
Editions: Robert Laffont
Collection : Mauvais esprit
Auteur : Didier Porquery
152 pages
Prix : 17 €
Parution : 12 avril 2018