Par Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Philosophe de réputation mondiale, Michel Foucault (1926- 1984) était catégorique : « Robert Badinter a été le plus grand ministre de la Justice que la France a eu »…

Et dans l’édition rendant compte de sa mort le 9 février 2024, le quotidien « Le Monde » lui consacrait un cahier spécial, titrant : « Robert Badinter. Une grande conscience française » et « Un ‘’juste’’ pour la postérité ». Pour l’essentiel des Français, surtout et avant tout, il est le ministre de la Justice, garde des Sceaux (1981-1986) qui a porté la loi pour l’abolition de la peine de mort, loi qu’il a fait adopter par l’Assemblée nationale le 9 octobre 1981.
Près de quarante-cinq ans après l’adoption de ladite loi et un an après la disparition de celui qui se présentait souvent comme un « orphelin de la République », deux livres paraissent. Le premier, « Robert Badinter. Au nom de la justice », est un roman graphique- en mots de Jean-Yves Le Naour et dessins de Marko ; le second, « Justice toujours », un recueil d’articles et d’entretiens parus dans l’hebdomadaire « Le 1 ». L’un comme l’autre sont indispensables- alors que d’autres, imposteurs et/ou opportunistes, tentent avec des publications aussi improbables qu’incertaines de profiter de l’intérêt du public pour « cet avocat hors pair par son verbe et sa force de conviction qui était devenu, par son intégrité, une conscience, une boussole, une référence », comme le définissait Eric Fottorino, directeur du « 1 ».
Dans « Robert Badinter. Au nom de la justice », Jean-Yves Le Naour, brillant historien spécialiste du XXe siècle et des Première et Deuxième Guerres mondiales, et Marko, étincelant dessinateur de BD passé par le dessin animé, racontent une vie de justice en cinq chapitres : « L’orphelin de la République » ; « Le temps de l’insouciance » ; « L’épreuve » ; « Contre la peine de mort » et « Au service de la République et de l’humanité ». « Je suis né à Paris, le 30 mars 1928. Je suis le premier de la famille à naître de parents français. Ils venaient à peine d’être naturalisés, deux mois plus tôt », dit Robert Badinter avec les mots de Jean-Yves Le Naour. Et d’ajouter : « Je suis né sous les auspices du commissaire du XVIe arrondissement qui, tel une bonne fée, a conditionné ma vie : SERVIR LA RÉPUBLIQUE ». Grandi dans une famille juive venue de Bessarabie (aujourd’hui, Moldavie) aux confins de l’Empire russe, il admire son père Simon pour qui « la France, la République, l’égalité, tout cela était synonyme… Je crois que cela l’est toujours pour moi ».
Adolescent, le 9 février 1943, il voit l’arrestation de son père- sa mère : « Robert, ton père est parti à l’UGIF (1) ce matin n’est pas revenu. Il s’est passé quelque chose, j’en suis sûre »… Le père arrêté, la mère et ses deux fils déménagent près de Chambéry (Savoie). « Ce village-là, pour moi, c’est la France, la vraie. Officiellement, nous étions des réfugiés de Saint-Nazaire. Mais tous les habitants savaient que c’était faux. Il y eut comme une complicité silencieuse pour nous protéger ». Retour à Paris, il se rend chaque jour à l’hôtel Lutétia, où étaient hébergés les déportés de retour des camps. « Un jour, en regardant les actualités, j’ai compris que Papa ne reviendrait jamais… Ce jour-là, je suis devenu orphelin ». Des années plus tard, Robert Badinter est avocat. Et se lance dans le combat de sa vie- un combat initié au siècle précédent par Victor Hugo : l’abolition de la peine de mort. Il y aura des procès en France dans les années 1970, Badinter y fut éblouissant lors de ses plaidoiries- martelant encore et encore : « La justice qui tue n’est pas la justice ». Elu président de la République le 10 mai 1981, François Mitterrand le nomme ministre de la Justice, garde des Sceaux- le 9 octobre 198, l’Assemblée nationale adopte la « loi Badinter » et la France devient le 35ème pays au monde, où la peine de mort est bannie- aujourd’hui, on en compte 147 dans le monde à ne plus la pratiquer… « Un jour, il y aura l’abolition universelle, confia-t-il. Mais je suis trop vieux. Je ne la verrai pas ».
En 1986, il quitte le ministère de la Justice, devient président du Conseil constitutionnel jusqu’en 1995. Un sage parmi les sages- et son « élève », l’avocat-écrivain Richard Malka, de rappeler que Robert Badinter est passionné par la technique juridictionnelle- une discipline que nombre d’avocats négligent… Lui qui assurait que « l’Etat de droit n’est pas l’état de faiblesse », souvent avec sa femme Elisabeth, il mena tant et tant d’autres combats- parmi lesquels le droit du travail, les prisons, les droits des LGBT+… En ce premier anniversaire de la disparition de Robert Badinter qui glissait : « Eh oui, je suis juif. Cela fait partie de moi-même et cela n’a aucune importance en même temps », résonnent encore et encore les mots de son « cher » Victor Hugo : « Il est un droit qu’aucune loi ne peut entamer, qu’aucune sentence ne peut retrancher : le droit de devenir meilleur »…

(1) L’Union générale des israélites de France (IGIF) est un organisme créé par une loi française du Gouvernement de Vichy du 29 novembre 1941, à la suite d'une demande allemande au cours de l'Occupation de la France pendant la Seconde Guerre mondiale. La mission de cette Union était d'assurer la représentation des Juifs auprès des pouvoirs publics, notamment pour les questions d'assistance, de prévoyance et de reclassement social. Tous les Juifs demeurant en France étaient tenus d'y adhérer, les autres associations juives ayant été dissoutes et leurs biens donnés à l'UGIF.

« Robert Badinter. Au nom de la justice »
Auteurs : Jean-Yves Le Naour (textes) et Marko (dessins)
Editions : Dunod Graphic
Parution : 15 janvier 2025
Prix : 19,90 €.

« Justice toujours »
Auteurs : Robert Badinter, avec Eric Fottorino et Laurent Greilsamer
Editions : Le 1 / Editions de l’Aube
Parution : 24 janvier 2025
Prix : 14 €.

 Lire et relire Robert Badinter

« L’Exécution » (1973, Grasset). Un livre-témoignage sur pa peine d emort.
« Condorcet » (1988, Fayard). Ecrit avec sa femme Elisabeth Badinter. La biographie de référence sur un intellectuel en politique.
« Libres et égaux… » (1989, Fayard). Une plongée dans l’histoire de l’émancipation des Juifs sous la Révolution française entre 1789 et 1791.
« La prison républicaine. 1871-1914 » (1992, Fayard). Un retour sur ce lieu de relégation, devenu une obsession pour Robert Badinter et une recherche des raisons qui conduisent la République à plaider inlassablement en faveur de l’humanisation.
« Contre la peine de mort » (2006, Fayard). Les principales interventions, articles et entretiens sur son combat pour l’abolition de la peine de mort.
« Les Epines et les Roses » (2011, Fayard). Le récit de son « voyage au pays du pouvoir » durant les années 1981-1986.
« Idiss » (2018, Fayard). Le portrait de sa grand-mère, et l’évocation de la lointaine Bessarabie dont sa famille est originaire. Et aussi un hommage aux disparus, dont son père arrêté, déporté et assassiné en 1943 au camp d’extermination de Sodibór.
« Théâtre I » (2021, Fayard). Trois pièces réunies en un recueil autour de justice et l’injustice.