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Christophe Honoré : père intranquille…

  • Écrit par : Serge Bressan

portraitsPar Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / On commence par une citation de Leon Tolstoï : « Les hommes comme vous ne devraient pas avoir d’enfants ; si vous n’étiez pas père, je n’aurais aucun reproche à vous adresser, lui dit d’un air pensif Mlle Schérer ». Puis, page tournée, on enchaîne et on lit : « Je m’appelle Christophe et j’étais déjà assez âgé quand un enfant est entré dans ma chambre avec un papier à la main. Il a agité le papier. Il a agité une punaise dans l’autre main… » Voilà, c’est le début de « Ton père », le nouveau texte de Christophe Honoré, écrivain et cinéaste (entre autres, « Chansons d’amour », « Les Bien-aimées » et « Les Malheurs de Sophie »). C’est estampillé « roman », c’est publié dans la belle collection « Traits et portraits » initiée et dirigée par Colette Fellous.

Sur le papier tenu par l’enfant, quatre mots : « Guerre et paix : contrepèterie douteuse ». Revenant de la boulangerie, l’enfant l’a trouvé sur le palier, devant la porte. Une enveloppe également- à l’intérieur, un livre d’André Gide, et une merde de chien. L’auteur, Christophe Honoré, est homosexuel, ne s’en est jamais caché, ne l’a jamais étalé sur la place publique comme un étendard communautariste. Dans cet immeuble, il vit avec l’enfant, sa fille de 10 ans, il partage la garde avec la mère. Un jour sur deux, un week-end sur deux- l’ordinaire de tant de parents séparés, divorcés. Sauf que Honoré est homosexuel, lui qui dans une récente interview expliquait : « En tant que père et gay, vous êtes traître à deux causes. Il y a un petit côté collabo » et complétait le propos, tenant à préciser qu’ « être un père homosexuel, c’est une joie »…
On revient à ce bout de papier. « Guerre et paix : contrepèterie douteuse ». On décode facilement, habitué ou non de l’Album de la Comtesse (la rubrique historique du « Canard enchaîné », et le must dans l’art de la contrepèterie), on glisse les lettres et ainsi « Guerre et paix » devient « Père et gay ». Oui, on l’avouera, on a connu autrement plus ardu, autrement plus spirituel… Et dès lors, Christophe Honoré écrit- il dit encore : « J’écris dans une sorte de terreur qui à la fois me paralyse, me fixe, et me révèle ». On flotte entre roman policier, autobiographie et essai sur l’homoparentalité. L’auteur- victime se met en quête de la personne qui a bien pu commettre cet acte : un voisin indélicat qui l’a surpris dans une partie de drague ? un amant éconduit ? des gamins qui ont juste voulu faire une farce (de mauvais goût) ?
Père intranquille, Christophe Honoré ponctue son livre (c’est le principe de la collection « Traits et portraits ») de photos. Pour l’essentiel, des portraits d’hommes emportés par le Sida : les réalisateurs Jacques Demy et Cyril Collard, le critique Serge Daney, le dramaturge Bernard-Marie Koltès, l’écrivain Hervé Guibert… tous tombés sous les coups de la faucheuse dans les années 1980. Au fil des pages d’un texte formidable et saisissant, l’auteur ne raconte pas seulement sa paternité mal comprise, pour ne pas dire incomprise- il évoque aussi son adolescence sensuelle, sa famille, le mariage pour tous ou encore tous ces petits riens de la vie qui va et accepte mal, si mal l’homosexualité, la différence… Et d’entendre encore et encore les mots dits et écrits par Christophe Honoré : « De quoi me traitait-on au juste? De gay et de père. On me traitait de ce que je ne m'étais jamais caché d'être. Quel était le problème? Comment me sentir insulté de porter mon identité? On a tenu à me faire savoir qui j'étais. Ou bien on a tenu à me dire qu'on savait qui j'étais. Ou bien à avertir le monde de qui j'étais. On a tenu à m'emmerder un peu… »

Ton père
Auteur : Christophe Honoré
Editions : Mercure de France
Parution : 7 septembre 2017
Prix : 19 €


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