L’esthétique de la résistance : Sylvain Creuzevault, Peter Weiss et l’art comme un idéal de quête personnelle, de révolution culturelle et de résistance politique
- Écrit par : Xavier Paquet
Par Xavier Paquet - Lagrandeparade.com/ Musée de Berlin, frise de Pergame, le combat des Géants et leur anéantissement : symbole de la portée révolutionnaire latente de ceux qui semblent exclus de la culture.
On les tient hors de portée, pourtant ils en ont des choses à dire, eux les prolétaires. Ils sont trois, ouvriers de leur état, communistes de raison, intéressés par l’art de passion : derrière l’esthétisme, la résonance politique et le débat d’idées entre Heilmann, Coppi et le narrateur.
La réalité de leur condition populaire ne s’exprime pas dans les plus grandes œuvres, le dénoncer c’est le premier acte de résistance. Et dans cette Allemagne qui se pare de nazisme, s’émanciper et s’engager devient une nécessité pour contrer le fascisme. Démarre une longue épopée pour le narrateur, de Berlin à l’Espagne en passant par la France et la Suède : un périple où les utopies des régimes succèdent aux déceptions et à l’échec d’un mouvement ouvrier dans cette période tragique.
A chaque étape de son aventure, le narrateur rencontre des œuvres majeures : « Guernica », « Le massacre des Innocents », « la Divine comédie ». Autant de cheminements politiques qui nourrissent la réflexion, questionnent les certitudes et renforcent les convictions, autant de coups de poing qui forgent une construction politique et tout autant personnelle. A travers ce voyage, c’est une quête d’identité qui se joue dans une Europe en guerre où la montée du nazisme distille son emprise.
Pour adapter le roman fleuve de Weiss, la mise en scène reprend l’esprit littéraire en découpant la pièce en trois parties : livre I, livre II et livre III comme autant de chapitres de lutte à l’ordre établi. Weiss lui-même est présent sur scène, acteur mis à distance de ses propres personnages. Un regard sur l’Histoire, un poids de recul comique sur la tragédie de l’échec de l’unité communiste.
Un léger rideau s’ouvre et se ferme au fur et à mesure des scènes, des tableaux et des époques levant le voile sur les convergences des luttes. L’atmosphère très souvent sombre, gris métal, gris ouvrier, et gris de ciel de guerre, éclairée par des néons industriels où le feu d’une cour d’usine traduit la noirceur de l’époque et apporte finesse et élégance à la pièce.
Il y a dans le traité graphique des codes cinématographiques où les plans larges et les plans resserrés donnent une profondeur de champ et de tension dramatique. Face à la solitude du drame, c’est la force d’un groupe et la puissance du collectif qui répondent avec une troupe pleine d’intensité, de puissance mais aussi de fragilité et de sensibilité. Le procédé scénique les met en valeur par des chorégraphies, des chansons et des scènes de travail de Brecht. Quand le théâtre rencontre d’autres formes d’art, quand la fougue de la jeunesse se retrouve broyée par les affres de l’Histoire en marche.
L’ensemble est sublimé par des projections vidéo et des projections de textes qui bordent la narration avec un grain noir et blanc qui densifie l’élégance de l’œuvre.
Très belle pièce sur des faits historiques, « L’esthétique de la résistance » place l’art comme un idéal de quête personnelle, de révolution culturelle et de résistance politique. Dans les temps actuels qui s’annoncent incertains, un rappel à l’ordre qui n’est que salutaire.
L’Esthétique de la résistance
d’après le roman de Peter Weiss
adaptation et mise en scène Sylvain Creuzevault
scénographie et accessoires Loïse Beauseigneur, Valentine Lê
costumes et maquillage Jeanne Daniel-Nguyen, Sarah Barzic
maquillage et perruques Mityl Brimeur
création et régie lumière Charlotte Moussié en complicité avec Vyara Stefanova
régie plateau et machinerie Léa Bonhomme
création et régie vidéo Simon Anquetil
régie générale Arthur Mandô
assistanat à la mise en scène Ivan Marquez
dramaturgie Julien Vella
création musique originale et régie son Loïc Waridel
création musiques originales Pierre-Yves Macé
Dates et lieux des représentations:
- Du 1er au 16 mars 2025 au Théâtre Odéon, Théâtre de l'Europe - PARIS
- Les 28 et 29 mars 2025 à L’Empreinte, Scène nationale Brive-Tulle
les 28 et 29 mars