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Cet air infini : une odyssée des naufragés de la société

  • Écrit par : Christian Kazandjian

Cet air infiniPar Christian Kazandjian - Lagrandeparade.com/ Cet Air infini, une plongée dans un monde en déconstruction-reconstruction dans lequel se débattent les exilés des temps modernes.

Une femme, assise dans la lumière, sur un bloc de moellons. Dans l’ombre, debout, un homme. Ils parlent, chacun perdu dans ses pensées. Elle évoque la mort de la mère haïe ; lui, égrène un forme de répertoire de préceptes qu’il lui faut respecter pour passer inaperçu. Il est un migrant sans papiers, mais pas sans travail : il contribue à la reconstruction de la ville, sa modernisation, dynamitant d’anciennes usines pour ériger, sur leurs emplacements, des tours, des commerces, des parcs. La femme déroule sa lourde solitude, passive, sans volonté, ou plutôt sans velléité de se mêler à nouveau à un monde qui l’a rejetée. Bientôt, ces deux solitudes vont se rapprocher, s’aimer, qui sait ? Lui, l’émigré semble avoir trouvé sa voie dans la société : il pourra faire venir sa famille. Elle, en revanche, restera l’éternelle errante, assaillie par le poids de passés qui continuent de la hanter, presque déjà morte. Lui semble avoir trouvé foi dans le progrès d’une ville qui change, tout en se déshumanisant ; elle, bien que blessée, continue son combat, vain, contre la marche d’un monde de destructions et de dominations sociales, politiques, de genre.

Une cité en mutation

La mise en scène épurée, la nudité du plateau donnent toute facilité d’écoute à l’âpreté et la crudité du texte de Lluïsa Cunillé, traduit par Laurent Gallaedo, une voix privilégiant chaque nuance, chaque silence. Le passage du temps s’opère, chez lui, par l’évolution de l’habit, quand elle, elle reste vêtue de la même robe renvoyant au costume antique, voire à la tenue de mariage. Elle incarne la femme, celle que magnifient les figures des héroïnes grecques, que Sophocle, Euripide, Giraudoux ou Racine ont su nous rendre familières. Elle représente les femmes, de tous temps, femmes qu’on tente de dominer, d’invisibiliser. Elle quitte sa position assise quand lui s’installe à sa place, semblant s’adapter à la mutation d’une société qu’il a contribué à construire, une ville nouvelle symbolisée par l’assemblage de moellons que la femme a abandonné, endossant la veste de l’errant que l’homme a jetée. Les lumières ponctuent l’évolution du temps et des états d’âme des protagonistes, dont les déchirures restent toutefois enfouies. Le jeu, quasi statique, notamment au début, quand les deux êtres s’observent et se cherchent, se déchaîne en lutte, danse éphémères quand s’affirme une forme de rapports amicaux, voire amoureux, que l’évolution de la cité, de leur statut social rendra définitivement irréconciliables (elle devient une fugitive que la police traque, quand lui prend racine dans la société). Un texte au ton amer, où chaque mot frappe crûment ; une pièce bien servie par deux comédiens investis : Marie Micla et Jean-Noël Dahan, qui met en scène.

Cet air infini 
Autrice : Lluïsa Cunillé
Mise en scène :  Jean-Noël Dahan
Avec Marie Micla et Jean-Noël Dahan

Dates et lieux des représentations:

- Du 13 au 30 mars 2025 au Théâtre de L’Epée de Bois.Cartoucherie, Paris 12e (06.60.43.21.13.) 


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