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« Le Muguet rouge » de Christian Bobin : écrire comme on prend la route…

  • Écrit par : Serge Bressan

muguetPar Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Un homme qui, un jour, écrit « La plus que vive Â», « Le Très-Bas Â», « Les ruines du ciel Â», « Noireclaire Â» ou encore « La Folle Allure Â»â€¦ Un homme qui a raconté « Un bruit de balançoire Â», cet homme-là ne peut être que hautement fréquentable. Une chance, il existe- il s’appelle Christian Bobin, a 71 ans et vit (« caché pour être heureux Â», disent certains) du côté du Creusot, ville ouvrière du sud de la Bourgogne, département de la Saône-et-Loire. Régulièrement, il nous envoie, en signe d’élégance, un livre nouveau. En cet été 2022 finissant, il est là, ponctuel au rendez-vous qu’on ne s’est pas fixé, avec « Le Muguet rouge Â», un nouveau livre. Court- une quatre-vingtaine de pages. Grave et habité. Du grand Bobin, encore et toujours.

Mesquin, se croyant spirituel, un auteur mineur a assuré que « Bobin est, de loin, l'écrivain le plus célèbre du Creusot Â». Lui glissera-t-on « Le Muguet rouge Â» pour qu’il apprenne à lire- en est-il digne, parce que la lecture d’un texte de Christian Bobin, ça se mérite… D’autant plus lorsque, comme ce Muguet rouge, il est ouvert par les mots de Nadejda Madlestam : « Mandelstam racontait qu’ayant entendu pour première fois le mot « progrès Â» à l’âge de cinq ans, il avait fondu en larmes, pressentant quelque chose de fâcheux Â». Alors, on se glisse dans les pages. Vite, immédiatement, on a envie de cocher, noter les mots de l’auteur, c’est le feu d’artifice de l’élégance, de l’intelligence, de la pertinence- exemples : « Je suis un taureau avec dans son mufle l’anneau du poème Â», « Un ami c’est quelqu’un à qui on fait le cadeau de l’étonner Â»â€¦ On s’arrête : « Il suffit pour éclairer la vie entière de la braise d’une cigarette dans la nuit des rues où deux amoureux se raccompagnent l’un l’autre jusqu’au petit matin, triomphe du muguet rouge Â»â€¦
Ah, ce muguet rouge… pas besoin d’attendre un 1er mai pour en trouver, chez Christian Bobin il en est à toutes les pages ! Ouverture en majesté : « Mon père mort me montre deux brins de muguet rouge. Il me dit qu’un jeune là-bas, dans une montagne du Jura, a inventé ce muguet, en envisage de le répandre sur le monde. Il m’invite à aller le voir. L’homme tient une auberge au bord d’un lac. J’y mange une omelette, bois un vin de paille. Quand je lui parle des fleurs, mon hôte me conduit au-dessus d’un pré en pente : des dizaines de muguets rouges fraîchement poussés s’apprêtent à incendier la plaine. Je reviens vers mon père, lui demande qui est cet homme. Il me répond que c’est une partie de sa famille dont il ne m’avait encore jamais parlé. Va les voir, me dit-il. Apprends à les reconnaître Â». Et dire qu’il en est encore, petits valets obséquieux de la chose écrite, pour affirmer que Bobin est un écrivain mineur- c’est vrai, avec cet écrivain creusotin, on est si loin des « romans Â» fragmentés et pitoyablement nombrilistes !
Dans les plaines et prés « bobiniens Â», bonheur exquis, on croisera Kafka et Dora Diamant (qui fut une de ses compagnes), Blaise Pascal, Gérard de Nerval, Novalis, la violoncelliste Jacqueline du Pré, les violonistes Stéphane Grappelli et David Oïstrakh, la poétesse Anna Akhmatova, le génie des mathématiques Alexandre Krothendieck- « en rupture de tout milieu Â»... on ira jusqu’au le camp d'Auschwitz dans les pas de Christian Bobin, lui l’ami du peintre Soulages, le complice de saint François d’Assise, le disciple de Jünger, Gracq ou Jaccottet. Une fois encore, il nous aura rappelé qu’il « cherche » et que parfois, dans les ruines magnifiques de l’humanité, on peut trouver une mine. Peut-être, petit sourire malicieux, une fois encore évoquant sa raison d’écrire, il nous glissera : « Écrire est un art aussi fragile que vivre Â», ajoutera : « J’ai toujours aimé écrire comme on prend la route… Je rêve toujours d’accéder à une écriture qui, tout en étant heureuse, n’oublie rien du malheur des hommes, ne soit pas uniquement ni premièrement distrayante, mais d’abord éclairante Â». Et, dans les secondes suivantes, Christian Bobin de nous tendre un brin de muguet rouge…

Le Muguet rouge
Auteur : Christian Bobin
Editions : Gallimard
Parution : 6 octobre 2022
Prix : 12,50 €

Extrait

« Père, je garde en héritage ton visage baigné par le sondes d’un sourire jusque dans cette apothéose du mal, le pillage de ton cerveau, toi seul face à l’éternel dans cette maison des morts, et derrière le méchant verre brouillé de tes lunettes, les aurores boréales de tes yeux. Je n’ai jamais connu plus grande énigme que ton sourire à l’heure où ton nom n’était plus qu’une étiquette cousue sur tes vêtements que les gens du nettoyage mélangeaient à d’autres, perdaient. Ce sourire est dans ma poche. Je peux le donner sans le perdre.
Il y a une sainteté noire de la technologie, une volonté de rendre possible l’impossible. Malheur à qui voit venir à lui la forme de ses rêves Â».

Dans les poches : Christian Bobin, Haruki Murakami et Seiji Ozawa, Scènes de lecture et Peter Wohllleben

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