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Siné, toujours mort de rire ! : un hors-série à ne pas manquer!

  • Écrit par : Guillaume Chérel

Siné mensuelPar Guillaume Chérel - Lagrandeparade.fr/ Siné nous a quittés le 5 mai 2016. Sa femme, Catherine Sinet, et l’équipe de Siné Mensuel rendent hommage à sa vision du monde sans concession, et à son humour, qui n’a pas pris une ride, dans un numéro hors-série ; avec des dessins inédits. A acheter chez votre kiosquier ou en ligne. Notre collaborateur l’avait interviewé, deux fois pour le journal l’Humanité, alors qu’il se battait contre la maladie. Florilège.

Lorsque Philippe Val vous a viré pour antisémitisme (vous avez gagné votre procès), vous avez rebondi en créant Siné Hebdo. 
Vous avez passé votre vie à vous mettre en rogne, en somme…
Cet hebdo, je l’ai sorti non seulement pour faire ch… Val, mais il était dans la droite ligne de Siné Massacre, que j’avais créé pendant la guerre d’Algérie. Je suis toujours aussi engagé, si ce n’est enragé… Cet hiver, j’ai soutenu les opposants à la réforme de la retraite, même si, à quatre-vingts berges passées, je ne suis pas près de prendre ma retraite…
Votre fille, Stéphane Mercurio, a décidé de réaliser un film sur votre vie (1) bien avant l’affaire Charlie Hebdo… Pouvez-vous nous rappeler ce qui s’est passé ensuite ?
Ce n’était déjà pas le grand amour avec Val (parti depuis à France Inter – NDLR), mais un jour, dans ma rubrique « Siné sème sa zone », j’écris trois lignes pour me moquer du mariage du fils Sarkozy, Jean, qui aurait déclaré vouloir se convertir au judaïsme avant d’épouser sa fiancée, héritière des fondateurs de Darty… Je concluais par : « Il fera du chemin dans la vie, ce petit ! » Patatras ! J’apprends que Val, alors directeur de la direction, me vire pour mes propos soi-disant antisémites… J’en suis resté sur le cul. J’étais scié parce que, de toute ma vie, jamais, évidement, je n’ai tenu de propos antisémites. Contre le gouvernement israélien, dans sa manière de traiter les Palestiniens, oui, d’accord, mais jamais les juifs en général… Elle aurait été arabe, fille d’émir, c’était pareil. Je suis anti-curetons, en général. Il faut savoir, comme le rappelle mon ami Delfeil de Ton, que Val – on l’apprendra plus tard – commençait à avoir ses entrées à l’Élysée… On a vu ce qui s’est passé après avec Stéphane Guillon et Didier Porte, virés de France Inter. C’était une volonté manifeste de faire le ménage chez ceux qui osent critiquer le prince … 
PPDA a osé se moquer de lui, pareil, viré !
Si c’était à refaire, cette vanne, 
vous la referiez ?
Mais bien sûr ! Et comment ! J’avais lu ça dans le Journal du dimanche, en plus. Je me suis toujours foutu de toutes les religions, basta ! Le même Guillon avait déconné sur DSK… et vous voyez ce qui est arrivé.
Le début du film sur votre vie commence par la visite, avec Bruno Delépine (de Groland et coréalisateur de Mamuth, dans lequel vous jouez aussi), du cimetière Montmartre, où vous avez acheté une concession pour être enterré avec les copains… D’où vient cette idée farfelue ?
On avait bu des coups la veille et comme j’ai des problèmes de santé, on s’est mis à parler de la mort et d’un monument où il serait écrit « Mourir ? Plutôt crever ! », en lettres dorées, surmontées d’un doigt d’honneur… C’était pour déconner mais on l’a vraiment fait. L’idée, c’est de pas être au milieu de n’importe qui… des cons surtout ! Delépine ne s’imaginait pas dans un cimetière normal au milieu de morts pas drôles… Il voulait être avec des anars, des rigolards… bref, des élucubrations de mecs bourrés, quoi. Une soixantaine de potes pourront s’inscrire… J’ai reçu les premières demandes officielles. Il y a une sculpture en bronze déjà posée, avec le doigt d’honneur en forme de cactus… Il faut être coopté par Delépine et moi pour être incinéré avec nous. C’est un pied de nez à la mort, bien sûr. Un bras d’honneur, plutôt…
Dans ce film, on se rend compte 
que vous avez toujours réagi 
aux injustices, que vous êtes 
un révolté-né, mais que vous vous exprimez toujours par l’humour, 
sans haine, plutôt de la colère…
Oui, ce sont des gens comme Val et Hortefeux ou Guéant qui ont la haine. Ils nuisent et font du mal. Le premier vire des humoristes et les empêche donc de s’exprimer, le deuxième félicite les gendarmes d’avoir tué un jeune Gitan… le troisième veut foutre les Tunisiens à la mer… sans oublier ce blanc-bec, Laurent Vauquiez, qui veut faire bosser les pauvres gens au RSA… Faut vraiment être major de Normale sup pour inventer un truc pareil ! Ils sont déconnectés de la réalité. Puants, méprisants… La prétendue élite ? tu parles !!! J’ai toujours été rebelle. À l’armée, j’ai fait de la taule : je n’aime pas l’autorité, en général. Je ne suis pas un militant classique, j’aime me marrer, déconner, picoler… fumer – enfin, maintenant, je ne peux plus –, sans oublier le jazz et les femmes.
Le déclencheur de votre premier engagement politique, 
c’est la guerre d’Algérie…
Oui, mon père ne lisait que les nouvelles sportives dans les journaux, mais il avait un fond anar. Il me racontait qu’il tirait dans le dos des officiers, pendant la guerre, dès qu’ils donnaient l’ordre d’attaquer les Allemands, ses frères de labeur… J’y ai jamais vraiment cru ! Mais il aurait aimé le faire. La guerre d’Algérie m’a révolté. La manière dont on traitait ces gens… Il n’y a qu’à voir les réactions qu’il y a eues lorsque le film Hors la loi, avec Jamel Debbouze, est sorti : ça remue encore pas mal de trucs… Et comment se comportent les mômes dans les cités… La guerre d’Algérie n’est pas terminée. Elle n’est pas digérée.
Il y a eu Cuba aussi, et la Chine…
Oui, je me suis fait virer de Cuba, en 1970, quand j’ai dit, lors d’un discours sur les artistes, qu’il fallait se méfier des chefs, être vigilant, quoi. C’est ça, un artiste, un homme libre… J’y suis retourné comme touriste, en 1975, mais en résidence surveillée… Ils ont moyennement aimé certains de mes dessins sexy sur les gonzesses. En Chine, ils ont cru que je me foutais de Mao parce que je dessinais des chats dans ma correspondance… Et ça veut dire Mao. Ils ne savaient pas que les chats étaient ma marque de fabrique.
Vous dites que dessiner est plus difficile qu’écrire…
Oui, j’ai toujours été angoissé avant de livrer un dessin. Trouver une bonne idée de dessin, c’est vachement dur. Or, j’écris mes chroniques assez facilement. Bien écrites et sans fautes… À la Blondin !
Vous ne connaîtrez jamais la retraite, d’accord, tout en étant solidaire des salariés, mais vous êtes un peu le dernier des Mohicans anars dans ce monde de plus en plus policé, formaté… Être dessinateur, artiste en général, c’est devenu un statut précaire…
Oui, c’est vrai. Des comme moi, libres, râleurs, et indépendants, il y en a de moins en moins… Mais, d’une part, je ne me sens pas vieux dans la tête. J’ai l’impression d’avoir toujours vingt, trente ans. D’autre part, il y a des causes qui me révoltent davantage… que la retraite ! Franchement… mais je comprends. Je préférerais qu’on se mobilise pour défendre les Roms et le pouvoir d’achat… Il faudrait faire la grève générale, qu’on bloque tout, comme en mai 68 ! T’as de quoi descendre dans la rue, en ce moment. J’espère que ça va se radicaliser, mais les gens ont peur de perdre leur boulot. Il faut faire céder l’État. Non, je ne me résignerais jamais, mais parfois, les bras m’en tombent quand je vois ce qui se passe. J’ai toujours eu plutôt de bons rapports avec les communistes… même si j’ai fini par agacer les Chinois et les Cubains. L’expérience du sous-commandant Marcos me plaisait bien, ce guérillero drôle, poète et fumeur de pipe… Reste la nouvelle génération, je me suis fait de nouveaux amis avec l’affaire de Charlie Hebdo.
Un homme a marqué votre vie, c’est Malcolm X, dont vous parliez déjà dans vos albums biographiques dessinés. Vous racontez, dans le film que, juste avant de mourir, il vous a confié vouloir quitter les « muslims », qui l’ont assassiné, et se tourner vers le socialisme… C’est un scoop !
Quel gâchis ! Je pleure encore parfois en pensant à lui… Ce mec m’a ému. C’était un sacré bonhomme ! Cultivé, amateur de jazz. Il n’en revenait pas de voir un petit Blanc comme moi avec une telle collection de jazzmen noirs… Contrairement à ce qu’on pourrait croire, il y a de la colère dans le jazz, notamment le free-jazz d’Albert Ayler et de John Coltrane. Le jazz, c’était bien quand on avait le droit de fumer dans les boîtes, en picolant des nuits entières… Même ça, c’est devenu froid, sans âme. Moi, j’aime bien déconner.
Vous avez manifestement aimé 
jouer dans Mamuth, le film 
de Delépine et de son acolyte, Gustave Kern, qu’on voit aussi dans Mourir ? Plutôt crever !
Oui, c’était marrant. J’aime bien les mecs de Groland. Leur film est bon. Ils sont venus me voir en me demandant : « Qu’est-ce que tu penses de Depardieu ? » J’ai répondu : « C’est un vrai con ! » Ils m’ont répondu : « Ça tombe bien parce que c’est exactement ce qu’on aimerait que tu lui dises ! »
Qu’est-ce qu’on peut lire dans votre dernière chronique ?
Que l’histoire de DSK m’a troué le c… C’était tellement énorme que j’ai eu du mal à en croire mes esgourdes ! Il me fait presque pitié, ce mec. C’est un malade, a priori. 
Et pourtant, je ne pouvais pas le blairer. Mais il a besoin d’être soigné. Je peux pardonner son obsession – je suis bien placé –, mais pas son agression, si elle est confirmée. C’est inacceptable. Voilà ce que j’ai écrit. Quel bocson ! Sans le vouloir, il a donné un sacré coup de main à Sarko… et ça a quasiment éclipsé les cassettes porno de Ben Laden ! Comme quoi, contrairement à la musique, le sexe n’adoucit pas les mœurs… Là, je suis à l’hosto pour faire un bilan complet de mes os, après les reins et les poumons… ça branle du manche depuis quelque temps, mais je suis moins mal barré que DSK… (…)
Pourquoi avoir attendu onze ans pour écrire le huitième tome de vos mémoires ?
Je ne sais pas trop. Il y avait des choses que j’hésitais à raconter. Des amis ont cassé leur pipe… et Charlie Hebdo, qui avait édité les sept premiers tomes, m’a viré. Je ne cessais de remettre à plus tard la suite, à procrastiner quoi. Pourtant, ça marchait bien. Des copains ont insisté pour que je continue, dès que je leur racontais des anecdotes en buvant des coups.
Êtes-vous dans la nostalgie ou c’est pour témoigner, ces mémoires ?
Non, je vous ai dit, c’est parce qu’on me le réclame que je raconte mes aventures. J’ai l’impression que tout était mieux à mon époque ; ça doit être l’âge… J’en ai rencontré des grands, de Genet à Malcolm X. Tout m’emm… maintenant. J’en suis resté au bon vieux jazz. J’ai toujours aimé conjuguer militantisme et rigolade. Du coup, les « vrais » militants ne me prenaient pas au sérieux. J’ai vraiment cru à la révolution cubaine. Avec du rhum, de la salsa, des belles filles et la justice ! C’est plus trop ça aujourd’hui… Enfin, le rhum, les filles et la salsa, oui, mais ça rigole moins dans la vie quotidienne.
Vos relations avec Cuba ont évolué, d’ailleurs…
Oui, bientôt je raconterai qu’en 1970, lors d’un meeting de Gramma, sur le rôle des artistes, en bon anar, j’ai dit qu’il fallait se méfier des chefs. Un artiste, c’est un homme libre… Il doit rester vigilant. J’y suis retourné comme touriste, en 1975, mais en «résidence surveillée». Ils avaient moyennement apprécié certains de mes dessins sexys.
Vous évoquez longuement la guerre d’Algérie et votre engagement pour son indépendance dans votre album. Le déclencheur de votre premier engagement politique, ce fut la guerre d’Algérie…
Oui, la guerre d’Algérie m’a révolté. La manière dont on traitait ces gens… La guerre d’Algérie n’est pas terminée. Elle n’est toujours pas digérée.
Que pensez-vous de ce qui s’y passe, cinquante ans après ?
Quel gâchis ! Je me suis engagé quatre ans pour ce peuple. Je suis allé souvent là-bas et suis longtemps resté en contact avec ce pays. Je me souviens de la disparition de Maurice Audin, puis du massacre du 17 octobre 1961. J’ai bien connu Henri Alleg. Je raconte comment j’ai apporté à Fidel Castro une lettre de Ben Bella… puis comment j’ai viré un de ses neveux de chez moi parce qu’il avait eu la main baladeuse avec ma femme (rires) ! C’est quand même incroyable que cette marionnette de Bouteflika soit manipulée comme ça et par qui ? Puisqu’on dit que ce ne sont même plus les militaires… J’ai connu une Algérie passionnante, avec des types comme à Cuba, à la fois joyeux et combatifs. Ce pays est devenu déprimant. On a l’impression qu’ils n’ont rien foutu depuis leur indépendance. Ils ne vivent qu’avec le pétrole mais n’ont créé aucune industrie : c’est ahurissant.
Vous racontez de belles anecdotes sur 
Malcolm X dans votre livre.
Oui, notamment qu’il m’avait confié avoir commencé par militer avec Nation of Islam, créé par Elijah Muhammad – avant de se faire descendre par des sbires de Farrakhan, gourou du boxeur Mohamed Ali – pour fédérer le peuple noir. Mais qu’il avait l’intention de« marxiser » son engagement, notamment avec les Black Panthers, ce juste avant de se faire assassiner. Je ne me suis toujours pas remis de sa disparition. Nous venions de nous lier d’amitié. Il était fasciné par ma collection de disques de jazz : moi, le petit Blanc ! Ce type était passionnant.
Vous évoquez cet épisode loufoque, à Cuba, lorsque Fidel passe par la fenêtre de votre hôtel de La Havane pour vous écouter sur l’Algérie de Ben Bella. Et comme le contact s’est bien passé, des membres des services secrets cubains vous demandent de vérifier si un touriste français, de passage, ne travaille pas pour la CIA…
(rires) J’ai hésité à raconter cette histoire, parce que le type est encore vivant. Le plus marrant, c’est que lorsque j’ai demandé aux Cubains pourquoi moi ? Ils m’ont dit : parce que tu déconnes. Tu bois des mojitos, tu fais la fête, tu danses et dragues des filles… Alors que lui, il est trop sérieux (rires) ! C’était le contraire des critères habituels.
Après toutes ces années d’engagement, de l’Express des débuts à Révolution , avec Jacques Vergès, et Siné Massacre,dans les années 1960, puis Charlie Hebdo, dans les années 1970-1980, vous devez avoir l’impression d’assister à un retour en arrière…
Oui, ça va de mal en pis. J’ai du mal à comprendre ce que les gens ont dans le crâne. Ce sont des prolos ou des chômeurs qui votent FN… On vit le crépuscule du socialisme ! Ils ne savent même plus que ce mot existe au PS, on dirait. Je reste proche des cocos et du Front de gauche. Je regrette qu’on ne s’allie pas tous : des anars aux troskos, la vraie gauche, quoi. Au lieu de quoi, ils se tirent dans les pattes. Ça ne donne pas envie de militer. Il faudrait faire la grève générale, qu’on bloque tout, comme en mai 68 ! Il y a de quoi descendre dans la rue en ce moment. J’espère que ça va se radicaliser, mais les gens ont peur de perdre leur boulot. Il faut faire céder l’État. Non, je ne me résignerai jamais, mais parfois, les bras m’en tombent quand je vois ce qui se passe.
Vous avez voté aux européennes ?
J’ai voté pour contrer le FN. Je n’aime pas cette Europe du fric mais c’est pas pire que le nationalisme et le communautarisme. Il y a des députés européens qui essaient de bouger les choses.
Qu’allez-vous raconter dans le tome 9  ?
 J’y travaille en ce moment. Il s’agit du milieu des années soixante. Avec Cuba, encore… Et la Chine qui me vire ! Ils ont cru que je me foutais de Mao parce que je dessinais des chats dans ma correspondance… Pas de ma faute si ça veut dire Mao ! Ils ne savaient pas que les chats étaient ma marque de fabrique.

Propos recueillis par Guillaume Chérel, pour l’Humanité, le 30 mai 2011 et le 29 juillet 2014.

Biographie express du dessinateur:
Maurice Sinet, dit Siné, est né le 31 décembre 1928 
à Paris. Fils d’un ferronnier anarchiste et d’une épicière,
il passe son enfance à Belleville, Ménilmontant et Barbès. Il entre à l’école Estienne en 1942. À sa sortie, il devient graphiste et commence à réaliser ses propres dessins, publiés en 1952 dans France Dimanche. En 1955, il reçoit le grand prix de l’humour noir pour son recueil Complaintes sans paroles, préfacé par Marcel Aymé et postfacé par Jacques Prévert, qui devient son ami. En 1957, il publie 
les Chats. En 1958, après le coup de force de 
De Gaulle, il entre à l’Express, comme dessinateur politique. Anticolonialiste, il suscite la polémique durant la guerre d’Algérie et finit par démissionner en novembre 1962, date de l’indépendance de l’Algérie. Après Siné Massacre, il fonde l’Enragé en mai 1968, participe à Hara-Kiri, dessine pour l’Humanité Dimanche et rejoint l’équipe de Charlie Hebdo en 1981. Bob Siné partage sa vie avec Catherine Sinet, journaliste et productrice d’émissions et de films de télévision. Ensemble, ils créent Siné Hebdo après le renvoi de Siné, par Philippe Val, de Charlie Hebdo…


(1)Le DVD du film Mourir ? Plutôt crever !, 
de Stéphane Mercurio, est sorti sous forme 
de coffret jazzy avec des bonus poilants.


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