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« Ce que nous sommes » de Zep : le roman graphique de l’effondrement…

  • Écrit par : Serge Bressan

ZEPPar Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / En ouverture, dans les deux premières cases, le visage d’un jeune homme. Puis une baleine bleue. On lit : « Balaenoptera musculus. Le plus grand animal ayant vécu sur notre planète ».

Le jeune homme la touche, il dit : « Il doit en rester une centaine… Celle-ci est magnifique ». Bienvenue dans le monde fantastique de Zep, 54 ans, né et résidant à Genève. C’est « Ce que nous sommes », son quatrième et nouvel album dit « adulte », parce qu’on ne le dira jamais assez, le dessinateur et auteur suisse n’est pas seulement le « père » de Titeuf, le gamin à la mèche blonde et aux vingt-cinq millions d’albums vendus dans le monde. Zep (un pseudo en hommage à son groupe de rock référence, Led Zeppelin) est aussi l’auteur et le dessinateur de romans graphiques du meilleur niveau. Ainsi, avec « Ce que nous sommes », album diablement maîtrisé tant pour le dessin que le scénario ou la colorisation, il nous offre une fable écologico-politique- et prévient lectrices et lecteurs : « Nous vivons dans une hypertechnologie que presque aucun individu n’est capable de comprendre ou maîtriser. On voulait faire un humain augmenté, on a créé l’humain assisté ». Et de pointer une société qui veut toujours plus, qui est prête à toutes les folies au nom du progrès jusqu’à envisager l’être humain avec deux cerveaux (le naturel dans la boîte crânienne, peu performant, et un externe, omni-savant mais dénué de toute sensation, de toute réflexion, de tout sentiment…). Et la catastrophe n’est pas loin quand Constant, le héros de « Ce que nous sommes », se retrouve avec son cerveau numérique hacké, déconnecté. Un mal pour un bien, puisqu’il devra, au prix d’aventures plus ou moins heureuses, retrouver ses propres capacités et revivre « à l’ancienne ». Une rencontre exclusive avec un auteur et dessinateur qui ne prétend rien d’autre qu’être un observateur…

Ainsi, avec « Ce que nous sommes », vous voilà auteur de science-fiction ?!!!
Je parlerai plutôt d’anticipation… c’est un genre que j’aime beaucoup en tant que lecteur. C’est une manière intéressante d’aborder des sujets actuels. On est là dans une quête identitaire alors qu’on arrive dans une époque de fin de civilisation. Dans ce genre de livre ou d’album, il y a la place pour une grande part d’imaginaire… Surtout que moi, je ne suis pas un scientifique.

Quelles sont vos influences dans ce domaine de l’anticipation, de la science-fiction ?
En premier, il y a le cinéma. Des films comme « La Planète des singes » de Franklin Schaffner sorti en 1968, « Soleil vert » de Richard Fleischer (1973) ou encore « Blade Runner » de Ridley Scott (1982). En bande dessinée, il y a eu les albums d’Enki Bilal et de Moebius, et en littérature, les livres de Philip K. Dick. Parce que j’ai toujours apprécié qu’on me raconte mon futur et que ça me fasse peur !

Justement, pour ce nouvel album, comment en avez-vous abordé l’aspect scientifique ?
En Suisse, nous avons un grand scientifique, Pierre Magistretti. Biologiste réputé, il est également un grand vulgarisateur. Je lui ai demandé de lire mon scénario, c’est une fable mais je voulais aussi voir jusqu’où mon histoire était crédible, tout en restant une fiction... Nous avons passé de nombreuses heures ensemble, je l’ai interrogé comme un journaliste réalisant une interview. J’avais entendu une information évoquant le Human Brain Project, actuellement en cours et censé s’achever en 2024. Rien moins qu’un énorme chantier doté d’un milliard de dollars (environ 800 millions d’euros) pour mettre au point une réplique numérique du cerveau humain. J’ai ainsi appris que, pour fonctionner, le cerveau humain dépense 12 watts alors que le cerveau Human Brain dépensera l’énergie de toute une ville ! La finalité de ce projet ? Créer l’humain augmenté. Et au final, pourquoi pas, l’immortalité…

Comment vous est venue l’histoire de « Ce que nous sommes » ?
J’ai laissé vagabonder mon imagination. D’ailleurs, mes scénarios souvent me viennent la nuit lors d’une insomnie. L’histoire se grave en moi, et elle n’arrive à son terme que seulement lorsque j’ai la fin ! Alors, une nuit, est surgie une histoire avec une société où les personnes ont accès à un cerveau numérique. Mais l’une des personnes s’est fait pirater son cerveau numérique. A son cerveau, on a substitué une machine. Elle est débranchée. Une catastrophe, cette personne augmentée était devenue une personne assistée…
ce que nous sommes

Mais que va-t-il arriver au jeune homme prénommé Constant lorsqu’il sera débranché ?
Il va d’abord être perdu, puis redécouvrir nombre de sensations. Je le répète, ce n’est pas un ouvrage scientifique, c’est une fable. Qui évoque l’humain du futur, de plus en plus assisté. Aujourd’hui, je ne suis pas plus intelligent qu’avant mais en moins d’une seconde, j’ai réponse à quasiment toute question… mais dans le même temps, la génération de mes enfants a perdu la concentration. Et se pose déjà la question sur le devenir de notre espèce. Tout cela est fascinant pour l’auteur et, en même temps, terrifiant pour l’homme. Avec « Ce que nous sommes », j’ai raconté un effondrement.

Dans cet album, vous imaginez des personnes avec deux cerveaux : l’humain dans la boîte crânienne et le numérique en externe. D’autres vont jusqu’à envisager d’implanter une puce dans le cerveau humain…
Avouez que c’est fascinant, surtout pour un auteur. Mais franchement, pour l’humain, c’est effrayant. On espère- et on fait tout pour, aller vers une humanité augmentée mais on va vers une humanité diminuée. On est de plus en plus aidé, assisté par des machines. On leur abandonne toutes nos capacités. Et dire que c’est nous, les humains, qui les avons développées !

Comment vous définiriez-vous ?
Je fais un métier d’observateur… et je m’interroge : quel nouveau projet avons-nous pour l’humanité ? Nous savons observer mais nous avons perdu toute capacité d’anticipation… 

Ce que nous sommes
Auteur : Zep
Editions : Rue de Sèvres
Parution : 16 mars 2022
Prix : 20 €

Crédit-photo : Photo Térèze Wysocki


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