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« Mafalda mon héroïne » : 60 ans, héroïne iconique et toujours inlassable voix de l’indignation

  • Écrit par : Serge Bressan

mafaldaPar Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Un jour, elle interroge : « Pourquoi y a-t-il des pauvres, maman ? Â» Un autre, elle s’adresse à son père : « Qu’est-ce que ça veut dire, papa : ‘’le monde appartient aux audacieux’’ Â». Ou encore : « Qu’est-ce que ça veut dire, moi-même ? Â» Elle énonce quelques vérités : « Ce n'est pas que la bonté n'existe pas, mais elle reste incognito Â», « Nous avons des hommes de principes, c'est dommage qu'on ne les laisse jamais passer à l'acte Â», « La vie moderne impose des loisirs de plus en plus brefs Â». Ce 29 septembre, Mafalda, petite brunette à la tignasse épaisse et à la robe rouge, fête son soixantième anniversaire même si elle est restée bloquée à 6 ans et n’a vécu, en strips de quatre cases, que de 1964 à 1973. Mafalda, héroïne iconique, inlassable voix de l’indignation- pour la dessinatrice de BD Pénélope Bagieu qui a réalisé la couverture de « Mafalda mon héroïne Â», c’est bien simple : « Mafalda, c’était la Greta Thunberg de l’époque Â»â€¦

Pour l’état-civil bédéïste, Mafalda est donc née le 24 septembre 1964. Elle est apparue, déjà petit gabarit et épaisse tignasse très brune, dans les pages de l’hebdomadaire argentin « Primera Plana Â»- l’auteur et « père créateur Â», Quino (de son vrai nom Joaquín Salvador Lavado Tejón, 17 juillet 1932- 30 septembre 2020) avait répondu à une commande d’une « publicité Â» pour Mansfield, une marque d’éléctro-ménager, qui n’avait pas été publiée mais ressortie des tiroirs du dessinateur l’année suivante pour une publication dans la presse… puis il confiera ses dessins au quotidien « El Mundo Â» et au magazine « Siete Dias Â». En une petite décennie, « Mafalda a décrypté le monde de ses yeux d’enfant ! Â», confie-t-on chez Glénat, l’éditeur en français de l’intégralité des aventures de la gamine argentine. Et d’ajouter : « Avec candeur, elle n’a cessé de révéler les injustices et souligner les paradoxes de nos sociétés. Rebelle, fine observatrice et un brin idéaliste, cette figure à l’esprit contestataire et féministe a marqué des générations de lecteurs et continue de nous inspirer Â».
A l’occasion du cinquantième anniversaire de son héroïne honorée lors du 41ème Festival international de la Bande Dessinée d’Angoulême en 2014, Quino confiait : « Mafalda parle de problèmes d'adultes du point de vue d'enfants. (…) Avant cela, je n'avais jamais dessiné de BD avec des personnages récurrents. Je faisais de l'humour avec des personnages qui changeaient d'une planche à l'autre Â». Un journaliste lui posa la question : « Un demi-siècle après son apparition, comment expliquez-vous la notoriété mondiale de ce personnage ? Â»- réponse du dessinateur : « Je ne le sais pas moi-même, mais peut-être est-ce dû au fait qu'une grande partie des questions qu'elle se pose sont encore sans réponse. Parfois, je me surprends moi-même de voir comment certains « strips Â» que j'ai dessinés alors s'appliquent à des questions d'aujourd'hui… Â»
Aujourd’hui, pour son 60ème anniversaire, l’héroïne a droit à un cadeau avec « Mafalda mon héroïne Â», un album-hommage : Pénélope Bagieu a dessiné la couverture, Lucia Sanchez, réalisatrice du documentaire « Mafalda, reviens ! Â» (2023) a écrit une lettre d’introduction (« Chère Mafalda Â») et treize auteures (scénaristes et dessinatrices) parmi lesquelles Florence Cestac, Vero Cazot, Aude Picault ou encore Anne Simon ont représenté en strips « leur Â» Mafalda. Et aussi la scénariste Marie Bardiaux-Vaïente : « Mafalda, c’est une héroïne singulière et un succès phénoménal. C’est rare d’avoir une fille en personnage principal qui n’est pas du tout sexualisée en plus. On peut le lire à tous les âges et on y trouve toutes les leçons à en tirer. Quand je le lisais petite, je comprenais certaines choses, et en le relisant encore et encore, j’ai soulevé toutes les couches du millefeuille Â». Avec Maëlle Reat, quand Mafalda découvre les pouvoirs d'un anxiolytique, elle en tend un au globe terrestre…
Les exégètes et autres docteurs ès Mafalda expliquent que Quino a imaginé un personnage avant-gardiste, au carrefour des années 1960- 1970. Il confiait souvent qu’il souhaitait l’émancipation féminine et, très critique, pointait la situation de sa mère, « femme au foyer Â». Dans ses « strips Â», aux côtés de son héroïne, défilent des personnages secondaires qui racontent la société argentine dont le quotidien était placé sous le signe de la dictature militaire- ainsi, au hasard des pages, on peut croiser Susanita qui rêve de fonder une famille et incarne les discours traditionnels, Manolito chantre du capitalisme ou encore Libertad fervent défenseur des causes de gauche. Pour mémoire, on signalera qu’il arrivait à Quino de mettre Mafalda à contribution pour des dessins qu’il donnait à des organismes ou des associations lui tenant à cÅ“ur (Amnesty International, campagnes d’alphabétisation, Unicef,…) mais que jugé subversif, il était menacé par la dictature argentine et fut, en 1976, contraint de quitter son pays…
Auteure argentine de bandes dessinées (entre autres, « Naphtaline Â». Editions çà et là- 2022), Sole Otero ne cache pas son admiration pour Quino, le « père créateur Â» de Mafalda : « On peut définir le style de Quino comme « amargado Â», c’est-à-dire comme doux et amer à la fois. Il y a une sorte de malaise, un manque d’espoir, une plainte. Et en même temps, Mafalda et nombre de ses personnages sont des enfants, chez qui il y a encore une volonté de changer les choses. Il y a une sorte de tristesse, mais aussi une protestation qui sont typiques de la mentalité argentine. En Argentine, Quino nous a marqués profondément, comme Astor Piazzola et Diego Armando Maradona, toutes ces grandes figures qui finissent par laisser une marque profonde, une façon d’être et de ressentir les choses Â».
D’autres amateurs de BD n’ont pas manqué de noter également une analogie entre Mafalda et les Peanuts (Charlie Brown, Snoopy,…) de Charles M. Schulz (1922- 2000)- commentaire de Quino : « Mafalda parle de problèmes d'adultes du point de vue d'enfants. Schultz a été un maître en la matière mais il faut faire cependant une distinction entre ces deux séries : Charlie Brown est nord-américain alors que Mafalda est sud-américaine. Charlie Brown vit dans un pays prospère et une société opulente dans laquelle il tente désespérément de s'intégrer à la recherche du bonheur. Mafalda, elle, vit dans un pays frappé de nombreux contrastes sociaux et, bien qu'elle recherche le bonheur elle aussi, elle refuse toutes les propositions qui lui sont faites. Elle entretient un dialogue permanent avec le monde des adultes- monde qu'elle n'estime pas, qu'elle ne respecte pas, qu'elle déteste, qu'elle méprise et qu'elle rejette tout en revendiquant son droit à rester une enfant qui ne veut pas prendre en charge l'univers corrompu des parents Â».
Au moment de souhaiter un joyeux 60ème anniversaire, sont revenus à la mémoire les mots de l’écrivain argentin Julio Cortazar (1914- 1984) : « Peu importe de savoir ce que je pense de Mafalda. Ce qui compte vraiment, c'est de savoir ce que Mafalda pense de moi… Â»

Mafalda mon héroïne
Auteures : collectif (dont Pénélope Bagieu, Florence Cestac, Vero Cazot, Aude Picault, Anne Simon, Marie Bardiaux-Vaïente…) 
Editions : Glénat
Parution : 28 août 2024
Prix : 17,50 €

A noter : Mafalda. Intégrale 60 ans : Anniversaire 60 ans (édition revue et augmentée). Glénat, 35 €. En librairies le 13 novembre 2024.


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