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Cannes d’Etienne Gaudillère : une récréation théâtrale documentée qui traverse les époques avec sensibilité et humour

  • Écrit par : Julie Cadilhac

CannesPar Julie Cadilhac - Lagrandeparade.com/ Montrer toutes les facettes du Festival de Cannes? C’est le challenge que s’est donné le jeune auteur-metteur en scène Etienne Gaudillère dans sa nouvelle création, Cannes, qui ose un focus séduisant, à la chronologie et aux évènements marquants subjectifs, sur ce microcosme original au rayonnement mondial qui amène à lui toutes sortes de personnages pittoresques : artistes, touristes, producteurs, politiciens, starlettes…

1939. Après neuf mois d’hésitation, le gouvernement crée un festival du cinéma pour contrer l’avancée du fascisme en Italie et en Allemagne. Ses fondateurs, Jean Zay, Philippe Erlanger et Louis Lumière veulent en faire un acte politique d’opposition. Le 1er septembre, c’est l’ouverture officielle mais l’Allemagne envahit la Pologne; le monde entre en guerre et la première édition est donc annulée. Films censurés durant la guerre froide, suicide de la starlette américaine Simone Silva victime d’enjeux internationaux dont elle sera le bouc-émissaire pratique, scandale chez les puristes provoqué par la Dolce Vita de Fellini en 1960, 21ème édition annulée à cause des revendications de La nouvelle vague du cinéma français, attentats en 1975, Palme d’or en 1989 pour Steven Soderbergh, âgé de 26 ans et originaire d’Atlanta, pour « Sexe, mensonges et vidéo Â» et apparition des partenariats et privés comme Canal +…Autant d'évènements sélectionnés avec soin par le dramaturge et metteur en scène pour raconter l’histoire de cette mini-société et évoquer de manière intelligente et enthousiasmante les problématiques qui ont traversé le XXème siècle.
Savant mélange de réalité et de fiction, Cannes fait fusionner une matière textuelle préexistante (des discours, des interviews, un règlement au concours, des scènes de films…) au verbe enlevé, souvent caustique et toujours percutant d’Etienne Gaudillère…dont on applaudira également la capacité à rendre accessible le propos sans se départir d’une exigence esthétique et analytique des situations évoquées. Tout à la fois mise en abîme du cinéma et du théâtre mais aussi panorama politique, économique et idéologique d’un siècle sous tension, cette pièce distille en même temps des réflexions sur la création artistique, sur le statut de l’auteur et son positionnement au sein des réalités économiques contingentes,  sur le succès et ses désillusions…mais donne également l’occasion de faire revivre des personnalités passionnantes comme Jean Cocteau l’excentrique en peignoir, Georges Simenon le président de jury avant-gardiste, la cinéaste indépendante Agnès Varda qui prônait le bonheur, Jean-Luc Godard qui a toujours quelque chose à rajouter, Jacques Rivette les yeux rivés, Claude Lelouch le mal aimé ou encore Claude Chabrol aux femmes tant présentes…et la pièce s'avère donc l'occasion jubilatoire de traverser en tenues, musiques et débats philosophico-politico-esthétiques des tournants de l’Histoire à travers le prisme du septième art.

Cannes La distribution, pétaradante d’énergie et de conviction dans le jeu, séduit dès les premières répliques…La scénographie qui ne cesse de se remodeler joue brillamment avec les clichés iconographiques du Festival : un immense palmier, un escalier, des salles de presse ou de projection, des lieux pour faire la fête la nuit…d'ailleurs, serait-on, une nuit trop aromatisée au champagne, chez Eddie Barclay?…

Une création efficace de sons et de lumières la complète, teintant tantôt d’une nostalgie bien naturelle ce retour dans le passé, accompagnant avec sensibilité sur d'autres scènes la gravité de l'évènement conté. La mise en scène, enfin, tout à la fois classique dans ses exigences de jeu et inventive et contemporaine dans la manière dont elle fait succéder ses tableaux, insère des minutes de pitrerie délicieuses ( la présentation de la cérémonie la plus anachronique qui soit se déguste tant « il n’y a que le théâtre pour imaginer cela! Â»,; on apprécie aussi le chanteur désopilant de la Croisette qui a du mal avec les aigus…et les graves aussi d’ailleurs! ou encore le spectateur partisan du « c’était mieux avant Â» exécutant une mauvaise critique du film du réalisateur à qui il fait la conversation sans connaître l’identité…), des moments en suspension où l’émotion flirte avec la poésie ( à Taipei, la veuve à la cassette VHS émeut - et l’image qui clôture la séquence est d’ailleurs visuellement superbe…ou encore lorsqu’ Agnès grimpe sur les épaules du timide Jacques, l’autre Jacques, et qu’ils n’auront pas le temps de s’embrasser…) mais aussi des scènes jubilatoires et mémorables (le brainstorming musclé de la Nouvelle Vague, l’annonce publique de la Palme d’Or pour la Dolce Vita ou la rencontre fortuite entre un jeune réalisateur tout juste primé et un vieil oublié qui rebondit sur une phrase formulée entre les dents et prophétique « plus dure sera la chute Â»).

Le Cannes d’Etienne Gaudillère est tout à la fois frais, drôle, émouvant parfois, instructif, documenté et résonne de manière fine avec l’actualité. Truffé de citations célèbres qui réveillent notre âme idéaliste «  Les films appartiennent à ceux qui les font Â», « Nous sommes contre le capitalisme sous toutes ses formes Â» ou encore « la culture n’est pas un produit de consommation comme les autres Â», il rappelle aussi les réalités d’un festival qui de vecteur diplomatique mondial deviendra progressivement une machine à fric qui se met en route dès les années 80. Pourtant si Cannes est le lieu des paillettes, du superficiel et de l’éphémère, des atterrissages douloureux et des conflits d’intérêt esthétiques et idéologiques, cette manifestation annuelle reste un festival internationalement reconnu qui s’est voulu un symbole de résistance au fascisme, a conquis peu à peu son indépendance esthétique, a projeté et projette toujours des films censurés dans leur propre pays et dégage assurément une magie certaine…l’image d’un escalier fantasmatique s'impose à nous:  une star le gravit, à la robe constellée de lumières...Son charisme, sa beauté et/ou sa célébrité vivront ce que vivent les étoiles filantes, l’espace d’une parenthèse cinématographique qui illumine le ciel et disparait dans l'immensité indifférente d'un ciel infini, ne gardant une place que dans la mémoire de ceux qui ont été conquis par la fulgurance exquise du moment offert...et c'est déja beaucoup!

Filez voir cette création..Le Théâtre Molière de Sète lui a offert le tapis rouge pour ses deux premières représentations et elle l'a bien mérité! 

Cannes
Trente-neuf / Quatre-vingt-dix
Texte et mise en scène : Étienne Gaudillère
Avec 10 comédien(ne)s : Marion Aeschlimann, Clémentine Allain, Anne de Boissy, Etienne Gaudillère, Fabien Grenon, Pier Lamandé, Nicolas Hardy, Loïc Rescanière, Jean-Philippe Salério, Arthur Vandepoel
Collaborateurs artistiques : Arthur Vandepoel, Elsa Dourdet, Pier Lamandé
Scénographe : Bertrand Nodet
Lumière : Romain de Lagarde
Création sonore : Antoine Richard
Vidéo : Raphaël Dupont
Coproduction : Compagnie Y ; Théâtre Molière → Sète, scène nationale archipel de Thau ; La
Comédie de Saint-Etienne, Centre dramatique national ; Théâtre de Villefranche ; Théâtre du
Vellein - CAPI - Villefontaine ; le ThéâtredelaCité - CDN Toulouse Occitanie ; La Mouche,
Saint-Genis-Laval
Le décor est construit aux ateliers de la Comédie de Saint-Etienne.
Soutiens à la résidence : NTH8 - Nouveau Théâtre du 8ème, Lyon ; Théâtre Nouvelle Génération –
Centre dramatique national, Lyon
Avec le soutien : le DRAC Auvergne - Rhône-Alpes, la Spedidam
Production déléguée : Théâtre Molière-Sète, scène nationale archipel de Thau

Dates et lieux de représentations:
-Création - Les 14 et 15 mai 2019 au Théâtre Molière - Scène Nationale de Sète ( 34) - Tel. +33 (0)4 67 74 66 97
- Du mer. 22/05/19 au ven. 24/05/19 à La Comédie de Saint-Etienne - Tel. +33 (0)4 77 25 14 14
- Le 28/05/2019 au Théâtre du Vellein - Villefontaine - Tel. +33 (0)4 74 80 71 85
- Les 2 et 3 octobre 2019 Théâtre de Villefranche
- Le 15 octobre 2019 à La Mouche, Saint-Genis-Laval
- Du 8 au 16 janvier 2020 au Théâtre 71, Scène nationale de Malakoff
- Les 18 et 19 janvier 2020 au Théâtre Firmin Gémier-La Piscine, Châtenay-Malabry
- Le 21 février 2020 à la Maison des Arts du Léman, Thonon-Evian
- Le 7 mars 2020 au Théâtre Croisette, Cannes


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