Quelque part dans cette vie : une belle confrontation entre Emmanuelle Devos et Pierre Arditi
- Écrit par : Serge Bressan
Par Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Dans sa maison de Gloucester, petite ville portuaire du Massachussets, Jacob Brackish vieillit en solo. Vite, dans « Quelque part dans cette vie »- la pièce écrite par Israel Horovitz et librement adaptée par Jean-Loup Dabadie (de l’Académie française), on apprend que, pendant de nombreuses années, il a été professeur au collège de la ville - disciplines enseignées : littérature anglais et histoire de la musique ; réputation : terreur.
On nous dit aussi qu’il va bientôt s’en aller à jamais- son médecin lui a annoncé qu’il pouvait « vivre encore six mois, jusqu’à un an ». Qu’il se fatigue vite, qu’il marche lourdement, qu’il entend mal- ce qui ne l’empêche pas d’écouter la radio, surtout la voix de Chuck Thomas, le présentateur des émissions musicales. C’est l’hiver, le froid, la neige- et Brackish se résout à rédiger une petite annonce pour engager une jeune femme autant comme gouvernante que dame de compagnie. Elle s’appelle Kathleen Hogan, elle a perdu son mari, elle est aussi maladroite que sensible, et surtout perspicace puisqu’elle met à jour et pointe les faiblesses que Brackish s’efforce de cacher. Dans cette maison, c’est le temps des faux-semblants et des non-dits, les jours défilent, il y a du règlement de comptes dans l’air. Des silences, aussi. Et même des aveux qui permettront de savoir quel est donc ce grand secret que le vieux professeur a enfoui au plus profond de lui-même…
Au menu de cette belle réussite d’une pièce qui flotte entre les théâtres français de l’absurde (Samuel Beckett et Eugène Ionesco, entre autres) et américain des années 1960 (avec Arthur Miller ou encore Edward Albee), une construction dramatique impressionnante. On a là une pièce à tiroirs- mais lequel faut-il, doit-on ouvrir ? « Quelque part dans cette vie » avait été jouée pour la première fois en France en 1990 ; Brackish était interprété par Pierre Dux et Kathleen Hogan par Jane Birkin, Dans cette version 2018, on a droit à une autre belle confrontation, avec un Pierre Arditi qui se régale à jouer le bougon et une Emmanuelle Devos aussi brillante en ingénue qu’en diabolique manipulatrice. Et on savourera cet art qu’a Israel Horovitz de glisser, en creux, l’air de rien, une étude de la lutte des classes avec le vieux professeur qui ne manque jamais une occasion de rappeler sa condition sociale à la jeune femme… Un seul regret : la mise en scène « classique » signée Bernard Murat plombée par d’affreux longs trous noirs entre les différentes scènes. Le rythme et le tempo de la pièce s’en trouvent ralentis. Alors, au final, flotte comme une sensation de longueur qui aurait pu être évitée… Quel dommage !
Extraits de « Quelque part dans cette vie »
Kathleen Hogan : « Tous ces gens que j’aimais et qui sont partis, M. Brackish.
Jacob Brackish : Eh oui, c’est la vie…
K.H. : …et maintenant, ils ne sont plus que poussière.
J.B. : Eh oui, c’est la mort…
K.H. : C’est terrible. J’y pense chaque fois que je passe l’aspirateur »
***
Jacob Brackish : « Il faudra penser à acheter de spiles neuves pour mon appareil… C’est qu’avec vous, j’en fais une consommation…
Kathleen Hogan : J’parle pas tellement…
J.B. : Justement je reste aux aguets au cas où vous parleriez ».
Quelque part dans cette vie d’Israel Horovitz
Mise en scène : Bernard Murat
Adaptation (libre) de Jean-Loup Dabadie, de l’Académie française
Avec Pierre Arditi et Emmanuelle Devos
Durée : environ 1h50
Dates et lieux des représentations:
- Jusqu’au 6 mai 2018. Du mardi au vendredi : 21h. Samedi : 17h30 et 21h. Dimanche : 15h30 au Théâtre Edouard-VII ( 10 place Edouard-VII, 75 009 Paris) - Tél. : 01 47 42 59 92 - www.theatreedouard7.com