« Avec des si » de Jean Guidoni : douze chansons d’élégance et de raffinement
- Écrit par : Serge Bressan
Par Serge Bressan - Lagrandeparade.com / Il fut un temps où, jambes gainées dans des bas résilles et visage maquillé de blanc, on mourait à Venise dans l’orage d’un bordel. Il y avait du rimmel, c’était amoureusement cruel.
Et puis, en ce printemps 2022 naissant, à bientôt 70 ans (le 3 mai prochain), Jean Guidoni revient. Un album nouveau, le seizième joliment titré « Avec des si ». Douze chansons d’élégance, de raffinement. De désespoir, d’espoir. Du dramatique, jamais du tragique. Et, une fois encore, le rappel et la preuve qu’il est, avec près de cinquante ans de carrière sur le CV, l’un des acteurs principaux de la chanson francophone. Longtemps inspiré par le Cabaret berlinois, il fut catalogué marginal ou encore « chanteur noir » qui peut effrayer. « Je voudrais être, j’ai juste été », chante-t-il dans « Revoir l’été », lui qui, dans une autre chanson, se présente comme « un homme sans importance parmi des gens sans importance ». Avec Arnaud Bousquet pour les textes et Didier Pascalis pour les musiques et la production, Jean Guidoni décline une vie et un monde « avec des si », un monde où il n’a pas vieilli, juste vécu. De la nostalgie, certainement pas chez Guidoni- plutôt, de la mélancolie assaisonnée au bonheur. Comme personne, il sait jouer dans les registres de l’intimité et de l’ivresse. Et à celles et ceux qui, à Paris et ailleurs, l’avaient mis de côté, il lance : « Je reviens, tout recommence, ici / Paris, je suis en vie ». Rencontre avec un chanteur d’importance.
Vous voici donc de retour… Un seizième album, cinq ans après « Légendes Urbaines »… Avec vous, l’urgence serait-elle un vain mot ?
En novembre 2019, j’arrivais en fin de cycle pour les « Légendes Urbaines ». Et franchement, je n’étais pas vraiment pressé de faire un nouvel album, d’autant que dès le début 2020, sont apparus la Covid-19 puis le confinement. Il n’y avait pas d’urgence avec Didier Pascalis (NDLR : producteur et compositeur), on s’est dit : « on va commencer à écrire des chansons, on verra ce qu’il se passe ». On a rencontré Arnaud Bousquet, il écrivait dans son coin mais n’avait jamais travaillé pour un chanteur. La rencontre s’est bien passée, j’ai été touché par sa sensibilité…
De quel album aviez-vous envie ? Comment l’imaginiez-vous ?
Je ne voulais pas d’un album tape-à-l’œil. Je souhaitais un album simple, quelque chose d’épuré. Un piano, un violoncelle… Pour éprouver simplement le plaisir de la création…
Vous preniez un risque en vous lançant dans une collaboration avec une personne totalement nouvelle…
Mais quand j’ai confiance, je laisse faire les choses. Et ça a été le cas avec Arnaud Bousquet. Il m’a présenté deux textes, « Sans Dabadie » et « Un Homme sans importance »… J’ai toujours fonctionné ainsi : quand il y a du négatif dans un ensemble, je le prends aussi ! Mais immédiatement, j’ai senti que dans les textes d’Arnaud Bousquet, il y a beaucoup de bienveillance, pas de provocation gratuite. Il y a surtout une grande générosité dans son écriture. Et ça a fonctionné parce que, moi, je n’ai pas d’ego d’auteur !
Depuis bientôt cinquante ans, vous avez chanté les mots de Pierre Philippe, Allain Leprest, Jean Rouaud, Marie Nimier…
… et c’est très intéressant en tant qu’interprète. Je dirai même que c’est plus intéressant de chanter les mots des autres parce qu’on est enrichi par le regard des autres. Mais quand j’ai un texte, il faut que j’en comprenne la logique…
En ouverture de ce seizième album, la chanson « Avec des si »…
Elle correspond bien à ce que chacun vit. J’avais envie mais pas à tout à prix. Qu’est-ce que j’attends ? Les rêves sont ainsi… et depuis quelques années, cette sensation qu’il faut repartir sur autre chose… C’est une remise en question totale…
Depuis toujours, on vous dit théâtral. Vous répondez que vous n’envisagez pas la chanson sans la scène…
J’ai toujours estimé qu’être sur scène, c’est magique ! Et je suis toujours aussi heureux d’aller sur scène, même si je suis bouffé par le trac. Dans cette affaire, il y a quelque chose de follement enfantin. De formidable, également. Mais attention, pas question qu’on me sorte de la scène, je préfère partir avant d’être pathétique !
Vous avez été catalogué très rapidement comme un chanteur réaliste…
Oui, c’est vrai, je fais de l’« acting » sur scène. J’aime incarner les mots, raconter… et ce n’est pas loin de ce que fait l’acteur. Pour moi, la chanson, c’est une émotion. Alors, je laisse aller mes émotions…
Longtemps, vous avez été également considéré comme un chanteur de la marge. De vous, on disait que ce n’est jamais gris, c’est blanc ou noir…
… mais rassurez-vous, je suis toujours aussi radical dans ma tête. Simplement, je n’aime pas les conflits. On ne convainc jamais personne… et depuis quelque temps, j’ai quitté Paris, je vis à la campagne, ça m’a un peu apaisé, ça relativise nombre de choses.
On vous dit aussi chanteur culte…
Ça, très franchement, je ne m’en suis pas aperçu… Je veux seulement dire des choses radicales de manière naturelle…
Jean Guidoni chantre du désespoir ?
Si j’ai été désespéré ou si je le suis, j’ai toujours essayé que ce le soit avec humour ! En fait, j’adorerais chanter une chanson gaie… Mais surtout, j’ai horreur de déranger. Dans la vie, je parle rarement de moi, je préfère écouter les autres…
Vous bouclez ce nouvel album avec « Paris je suis en vie »… C’est un avertissement à celles et ceux qui vous ont rangé dans l’armoire aux souvenirs ?
C’est surtout un hymne à la vie. Le message d’espoir d’un homme qui voudrait être, qui a juste été…
Avec des si
Interprète : Jean Guidoni
Label : CD Tacet
Parution : 25 mars 2022
Prix : 12,99 €
Tracklist
1/ Avec des si
2/ Revoir l’été
3/ Si les anges
4/ Les même
5/ Allons chante
6/ Sans Dabadie
7/ L’été meurtrier
8/ Un homme sans importance
9/ Cecil Hotel
10/ Larmes de tigre
11/ A plus d’un titre
12/ Paris je suis en vie
Concerts
-25 avril 2022 : Bouffes du Nord- Paris.
-8 mai 2022 : Centre Culturel de Lesquin (Nord)
-15 juillet 2022 : Francofolies La Rochelle.