« De Pitchik à Pitchouk » : Jean-Claude Grumberg, maître-conteur…
- Écrit par : Serge Bressan
Par Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Le soir de Noël, dans son appartement parisien, une vieille dame s’apprête à réveillonner.
Seule. Elle glisse qu’« à Noël dernier, mes enfants, ils sont presque tous déjà grands-parents, sont passés me faire coucou avant de rejoindre leurs propres enfants qui donnaient une fête je ne sais plus où. Moi, je n’ai pas eu le cœur de me joindre à eux. Ils ne me l’ont du reste pas proposé. Je me suis donc retrouvée seule chez moi »… Elle dit encore qu’elle ne sait quoi faire, elle a bien tenté de regarder la télé mais n’y a trouvé rien d’intéressant. Encore : « Depuis quelque temps je ne trouve rien d’intéressant ni à la télé, ni ailleurs d’ailleurs. Bon, c’est comme ça, dit-on, quand on vieillit trop ».
Alors, après s’être couchée et avoir tenté de dormir, elle se relève, décide d’aller se promener, « j’ai enfilé ma robe de chambre, la blanche, et je me suis glissée dans ma cheminée. Je dois reconnaître que j’ai eu un peu de mal à me mettre à quatre pattes pour me glisser dans le bas de cette cheminée Napoléon III ». Reptation verticale, la vieille dame confesse : « Là , j’ai constaté que cette balade était la plus belle balade que je pouvais faire seule une nuit de Noël puisque celui que j’ai aimé, et que j’aime encore, et qui m’a quittée, n’est plus là pour m’accompagner ». Quelques minutes plus tard, la vieille dame y rencontre le père Noël. Début de « De Pitchik à Pitchouk », le nouveau roman de Jean-Claude Grumberg qui ajoute un sous-titre : « Un conte pour vieux enfants »…
Dramaturge d’excellence, auteur entre autres de « L’Atelier » et de « La Plus Précieuse des Marchandises », Grumberg, 83 ans, confie : « Je suis un auteur à la retraite ». Et évoque souvent l’écrivain russe Léon Tolstoï : « Pour moi, il est une référence absolue, une autorité morale… Il s’est aperçu que les enfants de ses serfs ne savaient pas lire. Il a tout arrêté pour écrire des manuels de lecture à leur intention... » Apprenti tailleur, le jeune Grumberg se rêvait comédien. Il a fait quelques scènes, s’est vite rendu compte qu’il avait du temps libre, alors il l’a consacré à l’écriture… Aujourd’hui, jeune octogénaire, il se glisse à nous avec ce « conte pour vieux enfants ». Un texte que son éditeur nous présente comme « un nouveau conte burlesque, insolite et saisissant ». Un texte avec une vieille dame, seule depuis que son bien-aimé de mari Isidore, surnommé Isy, l’a quittée pour l’au-delà ; avec un père Noël délicieusement grincheux et qui se retrouvera rétrogradé pour finir en agent de sécurité… Un texte qui emmènera lectrice et lecteur entre Pitchik et Pitchouk, deux contrées aussi improbables qu’imaginaires (bien que…), près de Brody quelque part en Europe de l’Est… On aimerait y apprendre le secret d’un conte à déguster, chaud ou froid, à Pâques ou à Roch Hachana, on aimerait savourer « un thé au citron ou un verre de vodka, seul ou avec la terre entière, à l’hosto ou chez soi près de sa cheminée Napoléon III », comme le suggère l’auteur.
Impossible de résister au charme et à l’élégance de Rosette, la vieille dame digne qui, devenue amie avec le père Noël de sa cheminée, se glissera dans les habits de la mère Noël... Et les deux vont se raconter des histoires. Parce que le père Noël en a des choses à dire et à confier. Parce que Rosette va se retrouver en un lieu irréel où les enfants dansent pieds nus… Alors, en maître-conteur, Jean-Claude Grumberg accélère, fait un pas de côté, change de registre. La belle occasion de conter l’histoire d’amour de Baruch et Zina, ils sont de Pitchik et Pitchouk, ces deux gros villages marqués par des pogroms. Et comme on est dans un conte, l’auteur ne craint pas, en vieil enfant s’adressant à des vieux enfants, de se glisser dans le récit, de se mettre en scène. C’est délicatement poétique, follement grave- avec le souvenir d’allumés notoires comme Hitler et Himmler et dont, lui comme tant d’autres, a dû surmonter l’épreuve et l’horreur. Récemment, sur un plateau télé, Jean-Claude Grumberg a confié que les martyrs de la folie humaine préféraient « devoir de transmission » à « devoir de mémoire ». On est tous des citoyen.ne.s de Pitchik et de Pitchouk…
De Pitchik à Pitchouk
Auteur : Jean-Claude Grumberg
Editions : Seuil
Parution : 7 avril 2023
Prix : 14 €
[bt_quote style="box" width="0"]A tout prendre, il faut reconnaître que vieillir n’offre pas que des avantages. Par ailleurs ne pas vieillir semble une option qui présente également quelques désavantages. En tout cas, l’un des inconvénients liés au fait de vieillir, c’est l’endormissement. Dès que vous voulez vous endormir, vous n’y parvenez pas, alors qu’à n’importe autre moment, quand vous ne voulez pas dormir, vous vous endormez n’importe où, sans savoir comment ni pourquoi .[/bt_quote]