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« Le Passager » de Cormac McCarthy : à nouveau, sur la route…

  • Écrit par : Serge Bressan

le passager Par Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Ambiance et décor : « Le concerto pour violon n°2 de Mozart résonnait dans le magnéto. Il faisait six degrés et il était trois heures dix-sept du matin. L’assistant en appui sur les coudes et casque sur les oreilles observait l’eau noire en dessous d’eux. De temps en temps la mer s’embrasait d’une lueur de soufre à quinze mètres de profondeur… »

Odeur de pétrole et relents capiteux de la mangrove et des prés salés apportés des îles par la marée. L’homme regarde l’assistant, souffle sur son thé, le boit… mots relevés dans les premières pages du nouveau roman de l’écrivain étatsunien Cormac McCarthy, 89 ans, roman au titre tout simple : « Le Passager ». Nombreux étaient ceux qui s’interrogeaient : l’auteur n’avait rien publié depuis 2008 et son roman cultissime « La Route », adapté au cinéma en 2009 par John Hillcoat, avec Viggo Mortensen et Charlize Théron. Ils sont rassurés- mieux : enthousiasmés, puisque revoilà donc McCarthy, l’auteur définitif de « Méridien de sang » (1988), « De si jolis chevaux » (1993) ou encore « Non, ce pays n’est pas pour le vieil homme » (2007), l’auteur que facilement les spécialistes ès littérature classent dans les genres « southern gothic » ou encore post apocalyptique.
L’homme qui boit le thé s’appelle Bobby Western. Il est le personnage principal imaginé par McCarthy pour « Le Passager ». Il avait une sœur prénommée Alicia, follement belle et exceptionnellement intelligente- elle s’est suicidée il y a dix ans. Dans le roman, donc, Bobby a changé de vie, est devenue plongeur professionnel. Ainsi, on le retrouve dans le golfe du Mexique- sa mission : inspecter, à quinze mètres de profondeur, l’épave d’un jet privé qui s’est planté avec ses huit passagers. Le plongeur se glisse dans l’épave, les victimes sont encore assises sur leur siège. Problème : sur les huit passagers enregistrés, il en manque un. Disparu… Quelques jours plus tard, l’appartement de Bobby Western est « visité » et Oiler, un de ses coéquipiers, est retrouvé mort dans sa cloche de plongée. Pour Bobby, aucun doute : il y a un lien entre les « visiteurs » de son appartement et les tueurs d’Oiler.
On aurait pu en rester là, tricoter un (peut-être bon) polar des familles et l’affaire était jouée. Sauf qu’on a retrouvé Cormac McCarthy, quasi nonagénaire en forme littéraire olympique. Et l’auteur d’embarquer son héros dans un déménagement avec son chat Billy Ray. Mieux : en route, Bobby va rencontrer de sacrés personnages, des loulous et des marlous, quelques dingues et paumés tous en perte de repères et souffrant d’un déracinement incurable. La route, l’errance, une vie connue de Bobby. Flash back : jeune homme, il était un génie des mathématiques promis à une immense carrière à l’université, on lui promettait le cantique de la physique quantique, il a opté pour la fuite en Europe où il participera à des courses automobiles, il avait compris qu’il ne serait jamais aussi brillant que sa sœur Alicia, cette jeune fille « d’une beauté à tomber par terre… à provoquer des accidents » et qu’elle partageait ce sentiment que la morale lui interdisait d’éprouver pour elle. La fuite en Europe, pour Bobby, c’était aussi prendre ses distances avec leur père, brillantissime physicien proche de Robert Oppenheimer (le « père de la bombe atomique ») auprès duquel il assista le 16 juillet 1945 à l’essai atomique Trinity…
Avec Cormac McCarthy et « Le Passager », c’est une invitation, en compagnie de Bobby Western, au grand voyage du golfe du Mexique à Ibiza. C’est la fuite inexorable, la fuite en avant- ponctuée par les hallucinations en italique d’Alicia et des agitateurs pernicieux dont le chef finit par apparaître. Il y a de la paranoïa à tous les étages chez McCormack ; de la mélancolie et de la métaphysique, aussi… Et pour ne pas rester en manque une fois « Le Passager » refermé, l’éditeur français nous annonce déjà un plaisir à venir : en effet, Stella Maris, le second volet de ce diptyque, sera en VF dans les librairies le 5 mai prochain. Résumé : situé dix ans avant « Le Passager », « Stella Maris » est un prequel qui fait la lumière sur son personnage le plus mystérieux : Alicia Western. On a hâte…

Le Passager
Auteur : Cormac McCarthy
Traduction : Serge Chauvin
Editions : L’Olivier
Parution : 3 mars 2023
Prix : 24,50 €

Extrait

« Il arriva à Paris à l’automne 1969, par le train-ferry de Londres. La dernière chose que lui dit Chapman fut le vieux cliché sur les coureurs automobiles. Des excités, des gosses de riches et des imbéciles. Et parfois on trouve les trois sous le même casque.
C’est moi que tu vises ?
Tu arrives trop tard, Bobby. Le temps des gentlemen pilotes est révolu. J’ai vu beaucoup de mecs riches et cons devenir pauvres et futés. Dans la course, tout est compensable. A part la qualité des freins. Le seul avantage que tu pourrais avoir, c’est qu’en Formule automobile il y a effectivement un substitut à la puissance moteur. Ça s’appelle l’ingénierie.
Il sortit de la gare du Nord muni de ses deux sacs et s’immobilisa dans la nuit parisienne. Il resta longtemps immobile. Pour tenter de rassembler ses esprits… »

 

 


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