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Haruki Murakami : deux premiers romans inédits dont l'ordinaire est le héros

  • Écrit par : Catherine Verne

Ecoute le chant du ventPar Catherine Verne - Lagrandeparade.fr/ Belfond publie cette semaine les deux premiers romans de l'auteur japonais restés jusque là inédits. Chacun ressemble à un long senryu, une sorte fantasque de haïku ou un moki non-académique peut-être, en tout cas un de ces poèmes japonais, profonds et denses, qui posent les mots où il faut, mine de rien. Haruki Murakami déplie ici l'un après l'autre lentement, hors des sentiers battus par la règle sacrée, avec une composition très libre, un ton presque désinvolte. Une pause entre chaque respiration fait office de césure, la première vague étant intitulée "Ecoute le chant du vent", la seconde "Flipper, 1973". Côté style, on y retrouve le détachement propre à l'esprit Haïku, voire son humour décalé, côté contenu, des sentiments furtifs, des bribes du quotidien, l'écume du vif instant.  Un narrateur évoque son quotidien dans un bar entre cigarettes et bière, ses discussions philosophiques avec un habitué, ses souvenirs amoureux, bref une existence constituée de tout et de rien, au milieu duquel fait événement sa rencontre inopinée avec une femme mystérieuse. Au-delà de l'intrigue mince, le lecteur est invité à considérer ce qu'une littérature classique néglige habituellement en le focalisant sur les ressorts standards de tout récit servant à jalonner l'action principale. Ce en quoi ce livre tranche résolument avec la tradition du roman qui, pour raconter une histoire, propose introduction et présentation du décor en règles, noeud et dénouement, etc. Le regard ici semble vagabonder au gré de la plume de Haruki Murakami, hypnotisé par le talent avec lequel le romancier l'arrête sur une scène, une réplique, une précision en apparence banales, et sans fonction narrative manifeste, donc déroutantes car loin, très loin des codes consuméristes des best-sellers. C'est là le charme de ce style captivant par lequel se distingue l'auteur japonais: rehausser les détails étranges qui font de toute vie ordinaire une histoire extraordinaire et unique. Les thèmes qu'il traite sont la solitude urbaine et la musique, toujours en fond sonore de ses écrits, la mémoire nostalgique et l'altérité de la rencontre. Ce livre propose, sous des allures de récit poétique, un aperçu brut de la vie même en somme, livrée en scènes décousues et spontanées, qu'il convient de happer au vol quand elles jaillissent dans l'instant, sinon on a beau regarder en arrière, on arrive trop tard, tout s'en est échappé, envolé dans le chant du vent ou avalé par un flipper. Haruki Murakami fait ainsi de l'ordinaire son véritable héros ou son sujet de prédilection, contrairement à ce qu'en dit souvent la littérature, friande des exceptions ainsi que des artifices spectaculaires et organisés. Il donne à voir avec émotion la belle histoire qu'est toute vie, certes sous des allures de fiction, le paradoxe étant que toute vie est toujours singulière et que toute fiction en rate la résistante, l'ineffable originalité. Un vrai beau sujet pour la littérature en fait, la vraie vie, car quoi de plus étrange?

Ecoute le chant du vent suivi de Flipper, 1973
Auteur: Haruki Murakami
Traduction: Hélène Morita
Editeur: Belfond
Parution: 14 janvier 2016
Prix: 21,50 euros


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