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« Avant le bouleversement du monde » de Claire Messud : la vieille fille et la divorcée

  • Écrit par : Serge Bressan

mesudPar Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Enfin ! Pas moins de vingt-cinq ans d’attente pour recevoir enfin la version française du premier roman de la romancière américaine Claire Messud… On l’avait découverte puis appréciée en VF avec « La vie après », « Une histoire simple », « Les Enfants de l’Empereur », « La Femme d’en haut » ou encore « La Fille qui brûle ». Et voici donc son premier roman, paru outre-Atlantique en 1994 : « Avant le bouleversement du monde » dans une traduction de Béatrice Guisse-Lardit. En ouverture, une citation d’Elizabeth Bishop extraite de « Questions of Travel » : « Est-ce par manque d’imagination que nous visitons des lieux inconnus, au lieu de rester chez nous… Continent, ville, pays, société : le choix n’est jamais vaste et jamais libre. Et ici, ou là-bas… » Oui, avec Claire Messud, ce peut être aussi des questions de voyage, surtout avec deux sœurs anglaises…

On résume : donc, deux sœurs anglaises pour une variation sur le thème « la vieille fille et la divorcée ». On lit : « Enfant, Emmy savait exactement ce qu’elle voulait et comment l’obtenir. Née avec l’écho des bombes dans les oreilles, elle s’était toujours sentie spéciale. Sa sœur Virginia était assez âgée à l’époque pour avoir passé la guerre pliée en deux par la terreur, mais, tandis que les deux sœurs étaient accroupies dans les abris anti-aériens avec leur mère, la toute petite Emmy continuait à chantonner ou à babiller pour elle-même, indifférente, sans perdre la cadence, alors que tout le monde autour d’elle retenait son souffle et tremblait ». On a donc Emmy Simpson, la cadette. Elle quitte l’Angleterre avec son mari et leur fille, direction l’Australie- jusqu’alors, tout va bien avec, en prime, des succès mondains, « à Sydney, elle avait la réputation, dans son cercle d’amis, de bien porter son âge. Récemment encore, elle était fière de son apparence ; elle se considérait comme une femme séduisante ». Puis c’est la rupture, le divorce avec au final une séparation humiliante : elle décide à ce moment de tout quitter, de filer dans les montagnes sacrées de Bali pour se mettre en quête d’elle-même- on lui dit : « Ne pas savoir où on est, c’est ne pas savoir où est la montagne. En balinais, il y a un mot pour cela : palang. Être palang, c’est être paralysé, incapable de travailler, ou de danser, ou de dormir. L’orientation et l’ordre sont à la base de tout. Chacun a une place ». Il y a aussi, chez les Simpson, Virginia. Elle vit encore avec sa mère, n’a jamais dépassé le périphérique de Londres et se satisfait pleinement du confort de son groupe de lecture de la Bible. Quand elle perd la foi, elle emboîte les pas de sa mère qui l’emmène sur l’île de Skye, la terre de leurs ancêtres tout au nord du Royaume-Uni- elle espère y redonner un sens à son existence.
Emmy à Bali (une île remplie d’« idéalistes aux cheveux longs, qui prenaient des rides et de l’embonpoint », lit-on), Virginia sur l’île de Skye. Deux sœurs à la personnalité totalement différente, deux îles distantes de près de 13 000 kilomètres… Deux sœurs qui, à l’aube de la cinquantaine, se retrouvent face à elles-mêmes, à leur histoire. A Bali ou sur l’île de Skye, elles vont devoir effectuer un choix de vie, trouver un équilibre personnel et une place dans le monde. Dans un style tout en finesse, dès ce premier roman, Claire Messud ausculte les relations familiales. C’est aussi doux qu’amer. A toutes les pages d’« Avant le bouleversement du monde », transpire l’empathie de la romancière pour ses personnages. A aucun moment, elle ne tombe dans la caricature. Chez Claire Messud, dès son premier roman, c’est toujours dans la nuance- avec une grande question : est-on capable, à tout moment de sa vie, de se réinventer ?

Avant le bouleversement du monde
Auteur : Claire Mesud
Traduit par Béatrice Guisse-Lardit
Editions : Gallimard
Parution : 16 mai 2019
Prix : 22 €

[bt_quote style="default" width="0"] Virginia et Emmy s’étaient fabriqué une tente au moyen de deux grands bâtons et d’un vieux drap maintenu au coins par des briques trouvées sur le terrain vague au bout de la rue, là où la dernière maison mitoyenne avait été entièrement détruite par une bombe. C’est Emmy qui avait eu l’idée de la tente, mais à cinq ans, elle était trop paresseuse ou trop jeune pour la réaliser. Le projet s’était concrétisé seulement lorsque Virginia, avec ses neuf ans, responsable mais timorée, s’était chargée de son exécution.[/bt_quote]


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