Théâtre au sang : un polar « à l’ancienne » d’Eliane Arav
- Écrit par : Serge Bressan
Par Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Pour décor, le théâtre Charles Victor. Un théâtre parisien à l’ancienne, une de ces salles de tradition, pour départ de « Théâtre au sang » d’Eliane Arav. Née dans une famille turco-bulgare, Eliane Arav est une « polyvalente » de l’écriture- journaliste, romancière, essayiste et auteure de pièces de théâtre. Après « Le Guide astrologique de votre chat » (1989), elle publie en 1994 son premier roman, « Le Penseur de Vallorbe » : dans les toilettes du TGV Paris- Lausanne, un meurtre est perpétré en gare de Vallorbe. La victime, assise dans la position du « Penseur » de Rodin, est un travesti près duquel somnole un python… Suivent des livres passant d’un genre à l’autre : « Le portrait robot, mais on dirait Robert »- une pièce radiophonique en 1998 ; un deuxième « policier », « Du viagra dans la vinaigrette » (2002) ; une traduction, « Relaxe » (« Release ») de Robert Hammond ; « Mes amis, mes amours ! » en collaboration avec Roger Pierre (2007) ; « Leur trac au théâtre » (2012) ou encore « La question Quasimodo » (2017). Et voilà donc Eliane Arav dans le monde du « polar ».
Dans le théâtre Charles Victor, donc, on y joue « Oh ! les beaux jours » de Samuel Beckett… c’est le soir de la première, et l’actrice principale, la toute aussi expressive que capricieuse Tessa Saguine, a disparu. Une jeune fille, que l’on sent arriviste, se précipite sur la scène- elle remplace « la » Saguine mais, dès le tout début de la représentation, elle reçoit sur la tête, lancé des cintres, le cadavre de la vedette. Ce soir-là, le commandant Didaille est d’astreinte. Immédiatement, il lance l’enquête parmi les comédiens, la directrice, le chef de plateau, les techniciens, l’habilleuse ou encore les critiques. Une enquête qui va se révéler difficile dans ce petit monde du théâtre où les acteurs sont tous plus cabotins les uns que les autres- sans parler de leur entourage. Une enquête où le vrai et le faux s’entremêlent. Et pour tout arranger, flic réputé pour son peu de penchant pour le rationnel et ses tribulations amoureuses, Didaille va apprendre qu’un fantôme rode dans le théâtre. Le fantôme de son créateur, Charles Victor mort un siècle plus tôt…
« Théâtre au sang », c’est une construction aussi diabolique qu’intelligente, toute en digressions et coups de théâtre. On part d’un théâtre parisien, on déambule en banlieue et jusqu’en Normandie. Par les chemins de traverse, une belle façon d’entretenir le suspense. Il y a aussi la personnalité de la morte, la comédienne Tessa Saguine. Pas seulement capricieuse et excessive, mais aussi caractérielle, douée pour les fulgurances et autres changements d’humeur, capable de colères sans justification, habitée par des peurs enfantines… Au fil des pages, l’auteure nous plonge dans ce monde du théâtre qu’elle connaît à la perfection, un monde qui, à l’image de tout groupe humain, recèle vanité, petitesse, jalousie, ego démesuré… Et puis, délice suprême, il y a l’écriture d’Eliane Arav, toute en gouaille. Ça foisonne à toutes les pages- et ça emmène le lecteur dans des contrées où il croiserait Agatha Christie, Léo Malet et Frédéric Dard ! Tout cela donne un excellent roman policier. Et c’est ainsi qu’avec « Théâtre au sang », Eliane Arav nous offre un excellent polar. Un « polar à l’ancienne », comme on ne peut que les apprécier !
Théâtre au sang
Auteur : Eliane Arav
Editions : Le Chant des Voyelles
Parution : 2 avril 2019
Prix : 19 €
Extraits
« Le théâtre a toujours été un jeu d’enfants. On dit qu’on fait en vrai et en vrai, on fait semblant. Les morts de relèvent aux saluts et tout redevient comme avant. Que tout ça, c’était pour rire. On aimerait savoir si quelqu’un est blessé, l’aider à se relever en lui murmurant à l’oreille, ça va aller. Mais rien ne bouge. Comme si on n’était plus au théâtre ».
« Pour lundi soir, alibi en blinde. Beaureste, magasinier chez Auchan, magasinait à son poste. Tout le département Auchan- Kremlin-Bicêtre, le doigt sur la bande du jogging, peut en témoigner. D’ailleurs, l’appel imminent de son responsable va stabilobosser définitivement les déclarations des collègues. Alors, ils ne pourront pas le garder encore longtemps, même pour faire illusion. Genre occupation du territoire, la muqueuse au plancher, l’enquête qui avance ».