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L’amie, la mort, le fils : Jean-Philippe Domecq et le « récit de chagrin »

  • Écrit par : Serge Bressan

DomecqPar Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Une image, encore et encore. Implacable, insupportable. Définitive. « Nous voyons Anne, allongée, en diagonale par rapport à la ligne des vaguelettes qui viennent tout près, drapée du grand tissu grège, recouverte des épaules aux pieds, tissu bien tendu, au point qu’on dirait une sirène, une Égyptienne défunte… », écrit Jean-Philippe Domecq dans « L’amie, la mort, le fils ». C’était le cœur de l’après-midi, le 21 juillet 2017 sur la plage de Pampelonne, la presqu’île de Saint-Tropez. Pendant cinquante minutes, les pompiers ont tenté de relancer le cœur d’Anne Dufourmantelle. Elle avait plongé dans l’eau mouvementée, ce jour-là, pour sauver deux pré-ados bloqués par les vagues. Il y avait sa fille, le fils de Jean-Philippe Domecq- tous deux ont failli mourir dans les flots… Un peu plus tard, Frédéric Boyer- éditeur et écrivain, compagnon des jours et des nuits d’Anne Dufourmantelle, confiera à Jean-Philippe Domecq qu’elle avait un souffle au cœur, et qu’elle devait prendre rendez-vous chez un cardiologue…

Homme de lettres, d’art et de grande culture, écrivain réputé et respecté (« Robespierre, derniers temps », « Cette rue » ou encore » Le Livre des jouissances »), Jean-Philippe Domecq a été, pendant vingt ans, ami avec Anne Dufourmantelle. Elle était psychanalyste, philosophe, romancière (entre autres, « Souviens-toi de ton avenir » paru en janvier 2018)- ses écrits étaient salués dans le monde entier. Elle n’était pas que ça- mots de l’ami : « Anne n’était pas aliénante, ni absorbante ni « gourou », elle délivrait chacun vraiment, et presque par contact », et aussi : « Ses traits s’étiraient dès qu’elle voyait autrui heureux. Il n’y a pas beaucoup de gens qui nous donneraient envie d’être heureux rien que pour les rendre heureux ». Domecq ne s’est pas jeté dans l’écriture dans ce texte à l’amie disparue- elle avait alors 57 ans, il ne voulait surtout pas être libéré de la mort de son amie par l’écriture… « Le choc et le chagrin s’interposaient entre moi et tout ce que je pouvais faire. Deux mois après le choc, je suis rendu que je ne pourrais pas y échapper, qu’il fallait que je l’écrive, l’absence d’Anne, le traumatisme de la scène… je l’ai fait en somnambule, je ne savais pas ce que je faisais et j’ai écrit cela pendant un mois et demi. J’ai arrêté quand le récit a fait le parcours de la minute du drame au moment où je rentre à Paris après plusieurs pérégrinations », confie l’auteur. Pourtant, il avoue aussi : « Le chagrin m’arrête en même temps qu’il réclame. Il m’a arrêté fréquemment, en pleine phrase avec impossibilité de distinguer les caractères sur l’écran d’ordinateur. La pudeur aussi me fige, souvent. On constate que la pudeur à l’égard de la mort est plus forte encore qu’à l’égard de l’intimité sexuelle d’autrui »…  
Petit livre d’élégance, « L’amie, la mort, le fils » est un magnifique récit de chagrin. Avec une retenue et une délicatesse rares, Jean-Philippe Domecq dessine le portrait d’une femme d’exception, d’une personne qui avait « la passion de l’amitié ». Mais ce petit livre d’élégance a conduit l’auteur à réfléchir sur l’aura d’un être, sur l’origine du sacré- agenouillé sur le sable, il s’est penché pour embrasser son amie une dernière fois, « sur ce qui fut sa dernière plage, j’ai revécu par elle comment le sacré vient aux hommes », et aussi sur les rapports père-fils pour un dialogue en profondeur sur la condition humaine. N’oublions pas qu’Anne Dufourmantelle a perdu la vie, plus exactement « entrait dans la mort » (selon les mots de Jean-Philippe Domecq) pour sauver sa fille et le fils du romancier…
Pourquoi « L’amie, la mort, le fils », a-t-on demandé à Jean-Philippe Domecq ? Il s’explique : « Sûrement pas pour faire mon deuil… Sûrement pas pour tourner la page car c’est une écriture du chagrin et le chagrin est une fidélité absolument exclusive… » Avec ce petit livre, il a écrit un texte aussi délicat que pudique. Un texte dont les mots accrochent le lecteur, ne le lâchent plus- comme ceux-ci : « La mort d’un être n’est pas la mort, c’est mille fois pire- c’est affolant, la perte, on sent la folie qui rôde à la seule pensée qu’il va falloir y survivre »…

L’amie, la mort, le fils
Auteur : Jean-Philippe Domecq
Editions : Thierry Marchaisse
Parution : 6 septembre 2018
Prix : 14,50 €

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