Par Sylvie Gagnère - Lagrandeparade.com/ Eva, jeune ingénieure prometteuse, travaille pour une grande entreprise, mais elle s’interroge de plus en plus sur le sens de son activité.

Elle postule donc pour un job un peu fou : remettre en service une station météo sur un minuscule îlot du Pacifique Sud. Elle devra vivre en autarcie totale, subvenir à ses besoins et à ceux de son unique compagne, sa chienne Puce. Malgré les risques, cette mission de neuf mois enthousiasme la jeune femme, qui y voit le moyen de mettre ses actes et ses convictions en accord, tout en sensibilisant le grand public aux problématiques écologiques, via les photos et partages d’expériences qui seront postés sur les réseaux sociaux.

Arrivée sur place, Eva découvre un lieu à la beauté saisissante, une nature luxuriante, des fonds marins préservés et pleins de vie. Son enthousiasme n’est pas émoussé par les premiers revers, mais, tandis que sa blessure à la main ne guérit pas, que son potager ne donne rien et qu’elle perd une partie de son équipement, elle commence à s’inquiéter sérieusement. Lorsqu’elle aperçoit au loin un navire, elle s’empresse de le rejoindre pour obtenir de l’aide… et découvre qu’il s’agit d’un bateau envoyé par un puissant groupe minier dont la mission est d’explorer les fonds marins pour y détecter des minerais rares et s’engager plus avant dans l’abandon des énergies fossiles.

Le lecteur s’amuse gentiment à voir Eva tenter de surmonter les multiples difficultés qui attendent une candidate à la vie totalement autonome – et solitaire ! Pêcher des poissons n’est pas si simple, faire pousser des légumes non plus, et si la météo n’y met pas du sien avec un peu de pluie, trouver de l’eau est un défi redoutable.

Sa rencontre avec le bateau minier va bouleverser son bel équilibre : les intentions semblent louables, mais les méthodes beaucoup moins, qui compromettent tout l’écosystème. Pour autant, l’auteur ne se contente pas d’une opposition entre la gentille écolo et les méchants industriels, il pose de vraies questions, dont nous ferions bien de nous inspirer : comment gérer la transition écologique sans s’attaquer à des coins de nature jusqu’alors préservés mais qui nous fourniront les minerais nécessaires à notre mode de vie ? Sommes-nous prêts à renoncer à ce dernier, à faire des compromis, à tout accepter ? Est-il possible de concilier le progrès et l’écologie ? Le développement durable, la protection de l’environnement et la rentabilité ?

L’auteur trouve le ton juste pour poser toutes ces questions, dans un scénario malin, une aventure à la Robinson qui flirte avec le thriller lorsque les relations se tendent entre la jeune femme au mode de vie survivaliste et les ingénieurs et hommes de main de l’industrie. L’installation d’Eva et les difficultés qu’elle rencontre sont tout à fait crédibles, tout comme les descriptions de l’exploitation minière, et les rapports entre ministères qui conduisent à une inertie redoutable.

Le dessin de Léonard Chalumeau sert à merveille son propos : riche, plein de détails qui donnent vie au récit, aux couleurs flamboyantes qui rendent hommage à la beauté de la nature, il se fait sombre pour évoquer les dégâts provoqués.

Voici un album qui porte un message écologique fort – mais jamais moralisateur – et qui va au bout de sa logique : tout, de la fabrication à la distribution, a été pensé pour un impact environnemental le plus minime possible (cf. les explications en 2e de couverture).

La brute et le divin 
Scénariste/Dessinateur : Léonard Chemineau
Éditions : Rue de Sèvres
Parution : 22 novembre 2023
Prix : 22 €