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Jacques Allaire - L'éternel Mari de Fiodor Dostoïevski: " Tout se déplie dans un jeu cruel, comme si chaque motif en dissimulait un autre dans une manipulation perpétuelle. "

  • Écrit par : Julie Cadilhac

jacques allairePar Julie Cadilhac - Lagrandeparade.com/ 2023. Nicolas Oton, Frédéric Borie et Jacques Allaire, trois figures incontournables du théâtre montpelliérain, décident de monter L'éternel Mari de Fiodor Dostoïevski. Où cela va-t-il les mener? Jusqu'où l'écrivain russe, célèbre pour l'outrance des personnages et des situations et son dialogisme percutant dans lequel se confrontent les points de vue existentiels des différents personnages, nous emportera... sur les planches de la condition humaine? 

De ce "vaudeville" fort sombre - où l'on claque des dents plus que des portes, où la nervosité, l'horreur, le grotesque ont pris la place du potache, où la complexité des êtres et des sentiments ont remplacé les stéréotypes - Jacques Allaire nous offre quelques clés pour mieux plonger dedans...et ensuite votre curiosité insatiable du spectateur vous amènera naturellement à aller découvrir la pièce dans l'un des nombreux lieux de la région où elle se joue ! 

Et si vous nous racontiez ce qui vous lie à Fiodor Dostoïevski?

La lecture assez tôt de tous ses romans puis la redécouverte des mêmes romans plus tard dans la remarquable traduction de d'André Markowicz; j'avais travaillé sur Crime et Châtiment en 1989 puis quelques années plus tard sur une petite nouvelle, La femme d'un autre et le mari sous le lit, mais je ne connaissais pas et n'avais jamais lu L'éternel mari.

  

frederic borieComment êtes-vous entré dans ce projet?

Je rentrais de tournée de Feu Fumée Soufre ( mis en scène par Bruno Geslin ) , sortais de la gare avec ma valise à roulettes et j'ai croisé en chemin Nicolas Oton et Frédéric Borie, attablés à un café ; je me suis arrêté les saluer et Ils m'ont alors demandé si je serai d'accord pour lire ensemble un texte, comme ça, sans but. Je n'avais jamais joué pour Nicolas que j'apprécie beaucoup. Il me parle alors de ce texte L'éternel mari de Dostoïevski, autour duquel il tourne, s'interroge et qu'il a envie d'entendre. Et il y avait par ailleurs très longtemps que je n'avais pas joué avec Frédéric. Alors, à l'idée de se retrouver tous les trois avec Dostoïevski, j'ai dit oui . Rendez-vous est pris.
Nous nous sommes réunis la semaine suivante chez Nicolas un mardi après-midi sans autre but que lire in extenso le roman. Il fallut plusieurs rendez-vous. A la fin de chaque séance, on décidait de se retrouver, pareil une semaine plus tard, puis la semaine d'après etc. Le mardi toujours. Après quatre mardis, nous nous sommes dit qu'il y avait là réellement quelque chose de passionnant et d'inconnu et nous avions le désir de poursuivre. Alors Nicolas a mis en œuvre les conditions de mise en chantier du texte et vérifier la possibilité de spectacle. A l'issue de cette session de répétition, la décision était prise pour Nicolas de monter la production ; il est donc parti à la recherche des premiers partenaires de (co)production et diffusion ( Domaine d'O / Scn Narbonne/ Scn Alès / Théâtre dans les vignes / Théâtre de Lattes / Atp Uzes / Scn Chalons Champagne ) Et nous voilà impatients aujourd'hui au moment de créer et partager cette oeuvre!

En quelques mots, comment résumeriez-vous cette pièce?

Pavel Pavlovitch Troussotski , petit fonctionnaire, vient à Pétersbourg pour des démarches en vue d'une promotion. Veuf depuis trois mois, il est accompagné de sa fille Lisa ( 8 ans ). La nuit il tente de forcer l'appartement de Veltchaninov, lequel fut neuf années plus tôt l’amant de sa femme. On comprend très vite que ce dernier est le père de Lisa. Le récit est la série des confrontations entre le mari et l'amant. Vaudeville et drame de la jalousie, thriller psychologique et délire grotesque.

[bt_quote style="default" width="0"]Vaudeville et drame de la jalousie, thriller psychologique et délire grotesque.[/bt_quote]

mariComment s’est orchestrée cette adaptation à trois têtes? Chacun y a-t-il joué un rôle bien défini?

Très naturellement l'adaptation a découlé des séances de lectures chez Nicolas dans son appartement, devenu l'espace possible du dialogue, puisque dans le roman tout se passe dans un appartement ou presque (l'appartement de Veltchaninov ). De là est né le désir de réduire l'espace à un unique salon/chambre où tout semble naître comme la nuit accouche des rêves et des cauchemars, puisque c'est au bout du compte à travers les seuls yeux de Veltchaninov que nous vivons l'intrigue . Il n'y a pas de récit objectif et nous avons travaillé à restituer cela dans l'adaptation : un affrontement, une intrigue policière, un vaudeville et un accouchement psychanalytique, et ainsi que cela est chez Dostoïevski, qu'on ne puisse jamais distinguer le vrai du faux, pas plus qu'on ne distingue le réel du fantasme. Travail rendu plus aisé par Dostoïevski lui-même puisque le texte est presque entièrement dialogué et que la traduction de Markowicz en est brillante.
Et bien sûr, dès que nous avions doute ou hésitation , c'est toujours le metteur en scène qui avait le dernier mot.

 

Quel personnage interprétez-vous? Comment l’avez-vous fait naître? Quelles ont été vos sources d’inspiration?

Je joue Troussotski, l'éternel mari, petit fonctionnaire imbibé d'alcool lorsqu'il perd sa femme.
L'inspiration ? difficile de répondre clairement à cette question : c'est l'affaire d'une immersion lente dans le texte, les situations, les codes de jeu, les indications de Dostoïevski, les indications du metteur en scène, les intuitions de jeu. Cela aura nécessité comme toujours un "déplacement physique" . Cette fois, trouver le corps qui danse et la pesanteur, une douceur, un désespoir qui soit légèreté et l'œil qui rit. Inventer cet étrange personnage comme irréel bouffon ivrogne tel que le décrit Dostoïevski un être profondément humain et grotesque, plein d'amour, de simplicité et troué de gouffres et zébré de névroses.

Vous que l’on connaît bien pour vos scénographies percutantes, pourriez-vous nous dire un mot de celle choisie par Cécile Marc?

Je pense que la scénographie épouse justement les partis pris de mise en scène et restitue la possibilité imaginaire d'un appartement qu'on aurait comme évidé, et qui serait aussi la parabole d'une psyché humaine sans parois où tout se voit, et ce tout c'est l'inconscient. Si le titre L'éternel mari fait irrésistiblement penser à un vaudeville et si souvent l'on rit, tout, ici, est poussé plus loin, plus bas. Ou en dedans . Sous la surface. En sous-sol. Nous sommes dans la cave de l'humanité - quand bien même tout se passe dans un salon. L'apparence vaudevillesque est un habit qui recouvre et revêt le corps central : la faute, le mal, la culpabilité, l'abandon, l'innocence sacrifiée. La scénographie devait donc je crois répondre à ces problématiques.

[bt_quote style="default" width="0"] Nous sommes dans la cave de l'humanité - quand bien même tout se passe dans un salon.[/bt_quote]

fiodorY-a-t-il une réplique, selon vous, qui synthétise bien l’esprit de cet Eternel Mari? Et pourquoi?

"N'est-ce-pas " : Formule qu'utilise Troussotski un nombre incalculable de fois, au point qu'elle pourrait s'apparenter à un tic de langage, elle abrite surtout je crois une psychologie complexe hésitante et flottante , soit que Troussotski, le mari semble toujours demander confirmation ou adhésion à Veltchaninov l'amant , soit qu'il renforce par cette locution ses affirmations et ses questions.

Rit-on, même nerveusement, dans ce vaudeville qui n’en est pas un ?

Oui l'on rit . Mais d'un mélange étonnant de rires distincts: rire mécanique, rire pathétique, rire nerveux, rire grotesque, comique de situation, rire d'horreur… Je pense que l'on peut passer indistinctement d'un rire à l'autre, de même l'on passe du drame psychologique au drame de la jalousie, du tragique de l'enfance sacrifiée à la bouffonnerie grotesque alcoolique .
Dans ce texte Dostoïevski n'a pas de mesure, pas plus que l'inconscient n'a de règles.

[bt_quote style="default" width="0"]Oui l'on rit . Mais d'un mélange étonnant de rires distincts: rire mécanique, rire pathétique, rire nerveux, rire grotesque, comique de situation, rire d'horreur.[/bt_quote] 

Enfin quels mots choisiriez-vous pour donner envie au spectateur de venir voir L’éternel Mari?

Le plaisir des affres de la psyché humaine et le plaisir voyeur dans lesquelles Dostoïevski place le lecteur et, dans la mise en scène de Nicolas Oton, la mise en abîme par le dispositif scénique où le spectateur assiste autant à une représentation qu'il fait une expérience. Spectateur actif enquêteur ou psychanalyste ou encore position indiscrète de celle/celui qui regarde chez son voisin .
Les murs sont tombés et l'on assiste à tout . Les êtres eux-mêmes laissent parler leurs inconscients. Tout se déplie dans un jeu cruel, comme si chaque motif en dissimulait un autre dans une manipulation perpétuelle. Un texte et un spectacle qui se jouent des codes, on passe du vaudeville au drame, de l'affrontement au délire grotesque.

[bt_quote style="default" width="0"]Dans ce texte, Dostoïevski n'a pas de mesure, pas plus que l'inconscient n'a de règles.[/bt_quote]

L’ETERNEL MARI
Librement adapté de la nouvelle « L'éternel mari »
De Fiodor Dostoïevski traduite par André Markowicz 
Adaptation : Nicolas Oton, Jacques Allaire, Frédéric Borie
Mise en scène : Nicolas Oton
Avec : Jacques Allaire, Frédéric Borie
Régisseur général : Mathieu Zabé
Création sonore : Alexandre Flory
Scénographie : Cécile Marc
Durée : 1h20
Production : Machine Théâtre
Coproduction : Domaine d’Ô, Cité européenne du Théâtre / Théâtre d’Ô, aide à la création du département de l’Hérault Hérault Culture- Scène de Bayssan

Crédit-photos de répétition : Raphael Hardelin 

Dates et lieux des représentations: 

-Du 2 au 4 novembre 2023 - Domaine d’O, Montpellier

-Du 8 au 9 novembre 2023 - Théâtre + Cinéma, scène nationale de Narbonne

-Le 16 novembre 2023 - Le Théâtre dans les vignes, Couffoulens

-Le 21 novembre 2023 - L’Ancien Évêché, ATP d’Uzès

-Du 29 au 30 novembre 2023 - La Comète, scène nationale de Châlons-en-Champagne

-Du 16 au 19 janvier 2024 - Le Cratère, scène nationale d’Alès

-Le 03 février 2024 - Théâtre Jacques Cœur, Lattes

 


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