Par Xavier Paquet - Lagrandeparade.com/ Des pans de murs nus, le ciment se fissure laissant la pierre froide et brute apparaître, le plafond disparait dans l’immensité nocturne, on pourrait presque entendre les gouttes d’eau qui coulent le long des poteaux de béton et le vent s’engouffrer dans de longues envolées. Bienvenue en Enfer.

Cette ambiance caverneuse est celle que doit traverser Eurydice qui a décidé d’aller sauver son amant Orphée promis aux affres de l’Enfer. Dans son voyage, elle rencontre différents personnages qui vont la conduire au plus profond des entrailles de la Terre ou dans ses propres souvenirs. Mais ce voyage qui se veut initiatique dans sa volonté de sauver Orphée prend petit à petit le virage d’un tourbillon mêlant le dramatique à l’absurde.
Réécrit, le mythe d’Orphée se retrouve ici inversé et l’esprit antique démystifié en créant un univers onirique où l’accès aux portes de l’au-delà se retrouve modernisé : vous êtes accueilli par un groom ancré dans le monde digital et il faut un pass cadavre pour y descendre ; et par l’ascenseur s’il vous plait.
Le travail d’écriture est fin, mêlant le tragique au comique, et en apportant poésie et burlesque dans ce pas de deux que mènent l’amour et la mort. Ce mélange des genres apporte de la puissance à la pièce et de l’intensité dans les ruptures d’univers et d’émotions mais en conservant une certaine sobriété dans le propos et le traité.
Cette sobriété, on la retrouve également dans la mise en scène où le style est épuré en apparence mais pour laisser place au talent des comédiens qui incarnent plusieurs personnages avec des changements de ton, de posture et d’intention aussi rapides que précis. Certaines parties sont chorégraphiées et la direction d’acteur est juste, une direction claire et des mouvements coordonnées pour un rendu millimétré mais vivant, non dénué d’émotions qu’elles soient absurdes ou tragiques.
Et de la précision, il en faut, pour faire vivre ce funeste univers où se mêlent des créatures perdues, des morts aux allures de vivants, des vivants aux allures de morts, pour naviguer entre le monde des souvenirs et le monde enfumé des limbes souterraines et donner corps à un faux Elvis, à un Cerbère gardien des enfers ou une agente immobilière sous terre.
Dans cette très belle pièce, Eurydice descend dans les entrailles de la Terre mais ce n’est pas forcément une descente aux enfers : sa volonté de sauver son amant, sa résilience face aux épreuves la rendent bien vivante. Face au fatalisme de la vie, face à la perte d’un amour cher, elle nous interroge sur ce que nous sommes prêts à faire par amour et les combats que nous portons pour lutter contre le temps qui passe, l’amour qui s’étiole, le destin qui s’enfuit. Une belle leçon de vie.

Eurydice aux Enfers - Compagnie L’eau qui dort 

Texte et mise en scène : Gwendoline Destremau
Avec Tom Bérenger, Emilie Bouyssou, Pierre-Louis Gastinel et Louise Herrero
Créatrion sonore : Arthur Dupuy
Création lumière : Bertille Friderich
Costumes : Maxence Rapetti-Mauss

 Dates et lieux des représentations : 

- Du 7 au 26 juillet 2023 au Théâtre des Carmes - Avignon - FESTIVAL OFF AVIGNON 2023