L'éveil du printemps : une jeunesse entre burn out et espoir
- Écrit par : Christian Kazandjian
Par Christian Kazandjian - Lagrandeparade.fr/ L’éveil du printemps gratte les plaies de la jeunesse en bute à la violence des sociétés en une forme de prémonition.
Un adolescent qui se suicide à la suite d’un échec à un examen, une fille de 15 ans qui ne sait pas comment se font les enfants, un lycéen condamné à la maison de correction pour quelques dessins pornographiques. Mais, dans quel pays, à quelle époque vit-on donc ? La pièce, L’éveil du printemps, sous-titrée une tragédie enfantine, a été écrite en 1890-91. Wedekind y décrit les émois et doutes de la jeunesse d’alors en Allemagne. Mais la situation n’est guère différente dans le reste de l’Europe. Alors pourquoi monter aujourd’hui un tel texte ? Si les dialogues et situations peuvent nous paraître parfois ridicules, prêtant aux ricanements voire au rire, la problématique demeure, que traduit le malaise de la jeunesse. Le texte a été habilement adapté par François Regnault, modernisé sans que les mots tombent dans la caricature. Il en va de même de la mise en scène et de la direction d’acteur, assurées par Marion Conejero. L’insert de musiques « live » (Mateo Lavina), de poèmes, les costumes actuels, le jeu des six jeunes comédiens dépoussièrent l’œuvre, lui donnant des accents contemporains. Le décor, minimaliste, des accessoires plus qu’un décor en fait, permet le saut d’une époque à l’autre. Mais les grillages rappellent qu’on reste enfermé, comme ces lignes blanches, délimitant l’espace clos de la société, qu’on transgresse, à ses risques et péril. Sur un portant, des vêtements qui permettent de changer à vue de personnage. On est au théâtre, donc on joue. Comme dans la vie où la société nous impose le paraître. A la gamine insouciante, au potache amoureux de la lune, on impose de revêtir l’habit de parents censeurs qu’ils deviendront, car eux-mêmes victimes des préjugés, ou celui des professeurs qui sanctionnent selon la loi, oubliant qu’ils ont été jeunes. Ces gamins d’hier, comme ceux d’aujourd’hui se voient imposer des codes qu’ils cherchent à briser, sachant peut-être, qu’adultes ils entreront dans le rang, prêts à castrer la génération suivante. Eternelle lutte des générations.
La violence latente qu’on devine dans le texte de 1891, éclatera quelques décennies plus tard. Cette sorte de prémonition de Wedekind sera saluée par Brecht et prolongée, par exemple, par Horvath, dans Jeunesse sans dieu. L’usage de panneaux écrits, le mur couvert de coupures de journaux, les « songs », le jeu parfois outré, participent à une forme de distanciation propre à la réflexion. Et la poésie, omniprésente, génératrice d’espoir, de beauté débouche l’horizon. Cette mise en scène se veut une forme de tragédie optimiste : au final, on s’amuse entre les tombes du cimetière, après avoir ingurgité jusqu’à la nausée une bouillie d’infos, faisant la part belle aux drames, violences et viols qui ébranlent notre planète. Alors oui, on peut monter L’éveil du printemps aujourd’hui, comme on peut jouer Brecht ou Horvath. Car toute une jeunesse, en quête d’un avenir meilleur, de solidarité, d’amour, de vérité, se trouve acculée, niée par la pauvreté, ravalée au rang de troupeau de consommatrices et consommateurs de sexe et d’ivresse faciles, d’employés harcelés par la performance –comme dans la pièce le malheureux Moritz- et jetés comme kleenex usagés en cas de défaillance et d’échec, ou simplement de doute.
L’éveil du printemps
Auteur : Frank Wedekind
Texte français de François Regnault
Par la compagnie Les chiens andalous
Mise en scène : Marion Conejero
Dates et lieux des représentations:
- Jusqu'au 31 octobre 2018 au théâtre de Belleville, Paris 11e (01.48.06.72.34.)
- Le 11 décembre 2018 à Tulle ( 19) - L'Empreinte, Scène nationale Brive-Tulle