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Souvenirs de l’avenir : dialogue entre les « moi » de Siri Hustvedt

  • Écrit par : Serge Bressan

Actes sud Par Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Se souvenir. Se souvenir mal. Oublier… Ecrire : « Voici bien des années, j’ai quitté les vastes plaines du Minnesota rural pour l’île de Manhattan, en quête du héros de mon premier roman. A mon arrivée, en août 1978, ce héros était moins un personnage qu’une possibilité rythmique, une créature embryonnaire de mon imagination, que je ressentais comme une série de battements métriques s’accélérant ou ralentissant avec mon pas… » Quarante ans plus tard, par hasard, la narratrice S.H. retrouve son journal de cette année 1978 et écrit un récit autobiographique- c’est le septième roman de l’Américaine Siri Hustvedt, joliment titré « Souvenirs de l’avenir ». Un roman à la construction vertigineuse et parfaitement maîtrisé.  

Siri Hustvedt, on l’avait lue au printemps dernier avec son essai étourdissant, Une femme regarde les hommes regarder les femmes. Elle est de retour au roman- c’est une délicieuse réussite. On revient à Manhattan, 1978. La jeune S.H., alors 23 ans, a débarqué à New York avec la ferme intention d’écrire son premier roman. Souvenir : « Mes premiers moments dans mon appartement revêtent dans ma mémoire une dimension radieuse n'ayant aucun rapport avec la lumière du jour. Ils sont illuminés par une idée. Dépôt de garantie versé, premier mois de loyer réglé, porte refermée sur M. Rosalès, mon concierge rebondi et souriant, de la sueur maculant mon t-shirt sous les bras, je faisais des bonds sur le plancher, improvisant une sorte de gigue, bras levés en signe de triomphe ». Mais très vite, elle va être distraite par une mystérieuse voisine, Lucy Brite. A travers la cloison pas bien épaisse de l’immeuble délabré où elle habite, S.H. entend Lucy tenir des mots sans grande cohérence, ce qui justifie toute hypothèse : est-ce la folie ou un complot, voire du théâtre, surtout que ladite voisine entretient et préserve le mystère ? Dès lors, la narratrice de « Souvenirs de l’avenir » va noter au plus près les monologues de la voisine, et relève que Lucy évoque souvent la mort de sa fille et son idée fixe de retrouver l’assassin pour le punir…
Et puis, quarante ans plus tard… S.H. (comme Siri Hustvedt ?) travaille sur son récit autobiographique. Un exercice de style ne relevant guère de l’évidence puisque mêlant, juxtaposant, mixant des textes retrouvés dans le journal de 1978, des ébauches d’un « roman farfelu » et jamais achevé, les commentaires sur ces ébauches écrits à l’âge de la jeunesse, des commentaires sur l’Amérique d’aujourd’hui (avec des mots très durs sur le président Donald Trump)… Elle met en place un dialogue entre hier et aujourd’hui, entre la jeune femme qu’elle a été dans les dernières années 1970 et la femme artiste connue et reconnue qu’elle est devenue. C’est le moment du dialogue entre tous les « moi » de la narratrice…
Une fois encore, Siri Hustvedt décline les thèmes qui lui sont chers : le temps et son étrangeté, le patriarcat par essence violent et cruel, l’imaginaire si doué pour réinventer le présent… Au fil des pages de ces enchanteurs « Souvenirs de l’avenir » surgissent et défilent des interrogations. Sur la mémoire et ses méandres, ses contours, ces incertitudes- cette mémoire qui, chez tout un chacun, sélectionne, malaxe, déforme, met à l’écart… et la narratrice rend visite à sa mère âgée dont la mémoire est incertaine, emplie de lacunes. Dans un récent entretien, Siri Hustvedt qui, depuis 2015, est chargée de cours en psychiatrie à la faculté de médecine Weill de l'Université Cornell, expliquait : « Il n’y a pas de photographie de l’événement qui se serait inscrite dans le cerveau. Chaque souvenir qu’on extrait est sujet au changement, raison pour laquelle tous les convives qui ont assisté audit repas de famille en feront un récit différent par la suite. J’ai toujours été intéressée par la physiologie de la mémoire et son caractère fictionnel. Nous avons bel et bien des souvenirs, mais ils sont infusés d’imaginaire... »

Souvenirs de l’avenir
Auteur : Siri Hustvedt
Traduit par Christine Le Boeuf
Editions : Actes Sud
Parution : 4 septembre 2019
Prix : 22,80 €

[bt_quote style="default" width="0"]Je suis dans le Minnesota. C’est le petit matin. La fenêtre est ouverte et ça sent le printemps. Hier, comme le taxi m’amenant de l’aéroport roulait sur la grand-route en direction de Webster, je me laissais pénétrer par les verts de la chaude lumière de mai, et je sentais les légères ondulations du vaste paysage de plaine et le staccato périodique de ses élévations : les granges, silos, maisons et caravanes et, par intermittence, au bord de la route, les grands panneaux publicitaires pour des aliments, des motels et Jésus. La musique visuelle de chez moi.[/bt_quote]

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