Menu

Le dernier hiver du Cid : l'hommage costume de Jérôme Garcin à Gérard Philippe

  • Écrit par : Guillaume Chérel

garcinPar Guillaume Chérel - Lagrandeparade.com/ C'est dans le costume du Cid qu'il a été enterré. Ce fut son rôle le plus emblématique, celui qui marqua la métamorphose du comédien (vous aurez reconnu Gérard Philipe, avec un seul « p », s'il vous plait, comme dans TNP), d'après les dires, puisqu'il ne reste aucune captation valable de ses fabuleuses prestations dans ce rôle (il faudra nous contenter de Charlton Heston...). Et du nouveau livre de Jérôme Garcin : « Le dernier hiver du Cid », court texte mais dense, comme le fut la vie météorique de cet acteur à part. Un homme bon et juste, comme Albert Camus.

Jérôme Garcin écrit le genre de livres qui vont devenir rares à l'avenir. Entendons par là des livres bien écrits, dans un style léché, plutôt académiques, maîtrisés (ça nettoie les yeux), dédiés aux autres (sans être une biographie), sur de chers disparus et/ou déjà oubliés, sans tomber dans la pathos égocentrique et nombriliste. Ce genre de livres qui ravivent la mémoire, sans pérorer sur le bon vieux temps. En bon journaliste qui se respecte (espèce en voie d'extinction, en ce temps de « crise » de la presse écrite), Jérôme Garcin exerce son art d'écrire en s'approchant au plus près de son sujet : « Torse nu depuis l'aube, il a porté tour à tour sur ses épaules deux petits enfants ardents, jamais rassasiés, joué avec eux sur le sable blond de Pampelonne, exulté dans une mer d'huile, édifié devant la maison des murets en pierre sèches, de rectilignes restanques aux allures d'escaliers italiens, débroussaillé sous les pins qui se dressent au bout de la terrasse pour prévenir les incendies, arraché de mauvaises herbes jaunies, arrosé les lauriers-roses et les jeunes eucalyptus, inspecté les vignes du bas jusqu'au vieux lavoir et tressauté sur le siège rapiécé du tracteur, un pétaradant modèle d'avant-guerre. »

Après s'être penché sur le cas Bartabas, et deux grands résistants (Jean Prévost et un « aveugle »...), entre autres, puis sur son père, sur son frère jumeau, disparus tragiquement), il était logique qu'il consacre un ouvrage à son beau-père - (il a épousé la fille de Gérard Philipe, Anne-Marie), soixante ans après sa mort. Le 25 novembre 1959, disparaissait le grand, l'immense star, Gérard Philipe, étrangement, honteusement oublié aujourd'hui. Il avait trente-six ans. Il ne savait pas qu'il allait mourir. Il avait mal au ventre, se sentait fatigué, croyait que ce n'était pas grave. On lui a laissé croire, pour ne pas l'inquiéter, qu'il s'agissait d'un abcès amibien au foie. Ignorant la gravité de son mal, quelques jours avant son décès, d'une embolie, alors qu'il souffrait d'un cancer très rare, il lisait encore des tragédies grecques, rêvait d'incarner Hamlet, de rejouer Molière, Racine, Corneille, recevait René Clair chez lui, en vue d'un nouveau film, et Jean Vilar, pour Avignon, se trouvait trop vieux pour jouer Dom Juan... Il se préparait néanmoins à devenir Edmond Dantès, du Comte de Monte-Cristo, au cinéma. Gérard Philipe croyait avoir la vie devant lui. Il est mort jeune, comme James Dean et Jack London, deux autres météores devenus des légendes dans leur genre.

Jérôme Garcin commence par relater ce dernier été, à Ramatuelle, il fait beau, chaud, tout est léger, lumineux. Jusqu'à ce dernier hiver parisien, il fait froid, humide, tout est gris, le ciel est bas, menaçant. Et oui, peu savent aujourd'hui qu'il était très impliqué dans la création du Syndicat Français des acteurs, donc de la défense des intermittents du spectacle, alors qu'il était une star sans problème pour trouver des rôles, évidemment. Bien avant Yves Montant et Simone Signoret, il était de gauche sans se laisser attirer par les sirènes stalo-communistes, comme Aragon. Il avait un « physique moral », comme disait Régis Debray. Il était bon, aux deux sens du terme, et juste. Dans les années 50, après la guerre, Gérard Philipe était autant adulé comme comédien que comme militant en faveur de la paix. L'onde de choc de sa mort se répandit dans tout Paris comme une traînée de poudre. Jérôme Garcin a su, en peu de mots, dire la futilité, la fugacité d'une vie intense qui, entre le mois d'août et le 25 novembre 1959, se construit tout en se détruisant. Car Gérard Philippe avait mille projets. Il lisait beaucoup les classiques et manquait de temps pour tout : ses enfants, amis, public... Il est mort rempli d'avenir. C'est tout le sens de la scène finale, où l'habilleuse du TNP vient le vêtir du costume du Cid pour son ultime représentation. Et comme sa femme, la fille de Gérard Philipe, première lectrice du manuscrit de Jérôme Garcin, on espère jusqu'à la fin que ce n'est pas possible, Gérard Philipe va s'en tirer, il ne peut pas mourir si jeune. Et pourtant...

Le dernier hiver du Cid
Editions : Gallimard
Auteur : Jérôme Garcin
195 pages
Prix : 17, 50 €
Parution: 3 octobre 2019

Le blog de Guillaume Chérel


À propos

Les Categories

Les bonus de Monsieur Loyal