Yardam : une ambiance très sombre, des interrogations puissantes, dans un roman qui ne laissera personne indifférent
- Écrit par : Sylvie Gagnère
Par Sylvie Gagnère - Lagrandeparade.com/ À Yardam, des coquilles hantent les rues. Des presque cadavres, des hommes et des femmes que leur âme semble avoir déserté. Pour endiguer ce qui ressemble à une épidémie, la ville est mise en quarantaine. La population est piégée tandis que les voleurs d’esprits s’abîment dans la folie. Sexuellement transmissible, le virus fait des ravages, et la médecine est impuissante. Nadja et Feliks, un couple de médecins étrangers, vient s’enfermer volontairement dans Yardam, pour apporter leur aide. Leur route croise celle de Kazan, qui tente de cohabiter avec ses propres démons. La quarantaine privant les habitants de Yardam de ressources, la ville sombre dans le chaos, des hommes sont lynchés, des femmes accusées de sorcellerie sont brûlées vives, l’autre devient l’ennemi, le danger.
Lorsqu’un nouveau roman d’Aurélie Wellenstein arrive sur notre PAL, nous sommes toujours partagés entre appréhension et hâte. Hâte de le lire, de parcourir les chemins de son imagination sur lesquels elle embarque son lecteur, appréhension parce que, peut-être, celui-ci, on ne va pas l’aimer ? Il sera moins bon ? Après Mers mortes, qu'on a adoré, comment faire mieux ? L’autrice ne fait pas mieux, elle ne fait pas moins bien, elle fait différent.
Ce qu’il y a de semblable ? Une écriture très visuelle, cinématographique, un style direct et cru qui percute. Aurélie Wellenstein s’attelle à fouiller la psychologie de ses personnages, jusqu’au vertige. Le sujet de Yardam se prête évidemment à merveille à ce petit jeu-là. Où commence, où s’arrête l’identité d’un individu, ce qu’il est, ce qui le constitue ? Quid de la frontière entre soi et les autres ? Comment nouer des liens, comment aimer, accepter d’être aimé, lorsqu‘elle est si ténue ? Lorsque l’autre est un danger ? Lorsqu’on est un danger pour l’autre ? Autant d’interrogations qui trouvent ici un écho, dans un roman complexe, très sombre, qui déclenche quelquefois un sentiment de malaise profond chez le lecteur. Le personnage de Kazan provoque autant de compassion que de dégoût, de colère que d’attachement. Distillé au compte-gouttes, son passé vient éclairer ses choix actuels, parfois discutables, souvent dérangeants. Nadja révèle peu à peu une force et une volonté qui l’amènent à des décisions douteuses. Feliks le gentil découvre sa part d’ombre et de violence.
Vous l’aurez saisi, la lecture de Yardam ne laisse pas indifférent·e. L’autrice pousse ses personnages dans leurs retranchements, au plus profond du pire de l’humain. L’ambiance est sombre, très sombre, parfois malsaine. Pourtant, on ne lâche pas le livre, on tourne chaque page avec le désir de comprendre, d’accompagner ces personnages dans leur déchéance, dans leurs excès, et, peut-être, dans leur rédemption ? Parce que c’est remarquablement construit, parce que la cohérence, au cœur même de la folie, est là. Parce que le sujet bouscule, interroge, ébranle les certitudes et fait écho, d’une façon ou d’une autre, pour chacun·e.
Parce que, cette fois encore, Aurélie Wellenstein nous offre un grand roman.
Yardam
Autrice : Aurélie Wellenstein
Illustration de couverture : Aurélien Police
Éditions : Scrineo
Parution : 19 mars 2020
Prix : 20 €