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Laissez-nous la nuit : un premier roman très abouti de Pauline Clavière

  • Écrit par : Félix Brun

laissez nous la nuitPar Félix Brun - Lagrandeparade.com/ Le printemps palpite de vie…7h30 précise, on vient arrêter Max Nedelec à son domicile. La cinquantaine, Max est la proie d’une succession de problèmes depuis quelques temps…divorce, mauvaises affaires, les banques qui ne suivent plus, la faillite qui pointe son museau, les factures impayées, la déprime…Cela fait maintenant plusieurs mois qu’il n’ouvre plus son courrier et qu’il a sombré dans la négligence, le déni, l’abattement, l’apathie…

La caution de 30000€ a-t-elle été payée suite à une première condamnation en 2004 ? Pourquoi n'a-t-il pas répondu aux injonctions de la justice et du Trésor Public ? Pourquoi… pourquoi…pourquoi ? Et là tout bascule, il est condamné à 24 mois de prison ferme, et va plonger dans l’enfer du monde carcéral !... "l’histoire du monde est une quête de légitimité qui jamais ne prend fin." Max devient un numéro d’écrou, un tôlard : "Ici personne n’a rien fait, personne n’a d’histoire. Tout est tu. Â» Dans cet univers déshumanisé, barbare, Max va croiser une faune humaine très particulière, insolite… "et qu’ici, si t’es pas le plus fort, t’es la victime". La prison imprègne l’individu, le neutralise et en fait son instrument… "La prison a pénétré la moindre parcelle de mes cellules jusqu’à modifier mon patrimoine génétique, pour s’assurer d’avoir toujours sa place dans mon identité, de ne jamais me quitter. Je suis un mutant." 

Contre cette injustice, cette sanction décalée, inappropriée, Mélodie la fille de Max va mener une lutte permanente pour sauver son père, entre les parloirs, les recherches de documents, les audiences, la partialité des juges, l’iniquité des décisions, les tergiversations des avocats… Et au fil des saisons, Max va survivre dans ce magma de violences, de trafics, de drames… "Ici, les lynchages, les suicides, la mort en général sont une fatalité, une malchance, au pire, une maladresse. Â» Dans ce milieu où le bien et le mal se confondent, où aucune place au compromis, à la tolérance n’est concédée, on tape, on opprime, on écrase, il en restera toujours quelque chose ! La direction et les gardiens sont complices de cette supercherie de justice et de droit…les détenus sont gavés de neuroleptiques avec la connivence de l’administration, addiction et paranoïa garanties ! La galerie des personnages rencontrés par Max dans cette cage de béton et de fer, de cris et de douleurs est très représentative de notre société, de ses meurtrissures, de sa dramaturgie. Tous les sujets ont un surnom, le Portugais, Sarko, le Serbe… Mais l’humain, l’altruisme résistent avec Françoise la médecin… "c’était ça la médecine ici, dans ces conditions, un jeu d’équilibre, d’apprentie sorcière"…et Nicolae le prêtre aumônier qui, lors de ses messes dominicales, ferme les yeux et les oreilles sur les échanges de drogues et de shit…et Marcos le « coloc Â» de Max !
Pauline Clavière dans une écriture agréable, belle, précise, au rythme soutenu et haletant, signe un premier roman remarquable. Le récit est puissant, réaliste, les histoires sont profondes, émouvantes. Avec un talent certain, l’auteure décrit cet univers sans foi ni loi, cette justice kafkaïenne, arbitraire, inéquitable, perfide… "il n’y avait rien de plus inaliénable que ce concept hasardeux, vide de toute réalité, ce mensonge de dupe, cette chimère de philosophie : la liberté." Un très bon moment de lecture, et l’attente impatiente du prochain ouvrage.

Laissez-nous la nuit
Auteure : Pauline Clavière
Editions : Grasset
Date de parution : 15 janvier 2020
Prix : 21 ,50€


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