Reporter criminel : James Ellroy, une fiction vraie…
- Écrit par : Serge Bressan
Par Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Même pas peur ! Il se présente, le plus sérieusement imaginable, comme le « meilleur écrivain du monde ». A 70 ans, l’Américain James Ellroy publie le très réussi « Reporter criminel ». Une belle plongée dans deux affaires de meurtre à New York et Los Angeles avec un type qui, fier de son monstre de Gila- un saurien venimeux, s’est longtemps baladé avec des chiens molosses. Il a quitté Los Angeles, s’est installé à Denver (Colorado) avec une nouvelle femme et assure que, septuagénaire, il se verrait bien en jaguar, en tigre du Bengale ou encore en requin. Trois redoutables carnassiers, trois princes du monde animal attirés par le goût et l’odeur du sang… Ce sang qui emplit ses écrits, à James Ellroy, cet homme à la grande gueule, aux chemises hawaiiennes improbables et qui se présente, sans gêne aucune, comme le « meilleur écrivain du monde ». Rien que ça- et, après tout, s'il avait raison ? Pour parfaire le jugement, il en profite pour, trois ans après l’impeccable « Perfidia », nous glisser un nouveau livre, « Reporter criminel ». Un livre qui rassemble deux nouvelles taille XXL- d’abord, « M comme meurtre », puis « Clash by Night »…
Deux affaires, deux reportages que le « Vanity Fair » américain avait commandés à Ellroy. La première, l’affaire Wilye- Hoffert et racontée dans « M comme meurtre », se déroule le 28 août 1963, le jour où Martin Luther King prononce un discours qui va traverser les époques avec quatre mots : « I have a dream ». Le même jour, dans leur appartement chic de Manhattan à New York, deux jeunes filles innocentes et naïves de bonne famille sont assassinées. Une enquête menée à la va-vite, une conclusion qui nomme le coupable : George Whitmore- un jeune Noir, un coupable idéal. On lit, en ouverture et en italique : « Nous avons résolu l’affaire, et en fin de compte, nous avons fini par tout arranger. Le faux pas de Brooklyn a provoqué un scandale. Nous avons sacrifié la vie d’un homme innocent, et succombé à un consensus délétère. Le meurtre nous a horrifiés, la scène de crime nous a déconcertés, le pays tout entier est devenu hystérique par ricochet. Janice et Emily ne représentaient qu’une part infime de l’affaire… »
Pour la seconde affaire titrée « Clash by Night » (« racontée et réinventée », précise l’éditeur), James Ellroy nous emmène en 1976- le 12 février, près de son domicile dans une ruelle sombre de Los Angeles, l’acteur Sal Mineo est tué. Meurtre sordide- « J’ai appris cette nouvelle pendant un cours de golf, à l'époque où j'étais caddie », confie l’auteur. Mineo, il était le « mauvais garçon » fragile Plato de « Rebel without a cause » (en VF : « La Fureur de vivre »), le film de Nicholas Ray avec James Dean ; il a été aussi le premier acteur américain à effectuer son « coming out »… Le Los Angeles Police Department (LAPD) est chargé de l’enquête, et envisage toutes les hypothèses, toutes les théories possibles et imaginables. « Tous les policiers pensaient qu'il s'agissait d'un crime homosexuel, l'acteur étant notoirement gay, expliquera Ellroy. Je n'ai compris la complexité du cas qu'en ouvrant les rapports de police »… et on découvrira que la vérité était ailleurs…
Et surtout, pas question de demander à James Ellroy si, plutôt qu’écrivain (même le « meilleur du monde » !), il n’aurait pas souhaité être journaliste. Dans une récente interview, il expliquait qu’il écrit « des articles pour la presse, mais jamais sur l’actualité brûlante. Je ne suis pas reporter. Je ne suis pas le type qui va dans la rue pour contacter ses informateurs ou confesser les flics. Je veux sonder l’infrastructure humaine qui se cache derrière les épisodes les plus retentissants du XXe siècle… » Mieux, avec « Reporter criminel », il sert magnifiquement ce qu’il appelle la « true fiction ». La fiction vraie. Et c’est ainsi que James Ellroy est grand !
Reporter criminel
Auteur : James Ellroy
Editions : Rivages / Noir
Parution : 3 octobre 2018
Prix : 13,50 €
« Je suis un solitaire »
A 70 ans, James Ellroy n’a rien perdu de son art de la provocation. Certes, vivant à présent à Denver, Colorado, et profitant la promo de « Reporter criminel », il assure ne plus vouloir « fréquenter le milieu des artistes » et préférer « avoir affaire à des gens qui ont un vrai boulot et qui attendent leur feuille de paie » mais se considère aussi, encore et toujours, comme le « meilleur écrivain du monde ». Morceaux choisis.
Adulte « Les gens mettent parfois du temps à grandir… C’est mon cas, je suis devenu adulte sur le tard. Et puis, parfois, vous vous réveillez fatigué, vous prenez quatre expressos à la file et ça vous met en pétard, comme Donald Duck ! »
Armes « Je ne me sens pas en danger dans mon pays. Je possède trois armes, dont un 44 Magnum, celui de Clint Eastwood dans « Magnum Force ». Le port d’armes varie selon les Etats. Je suis heureux d’avoir le droit d’en posséder et d’en porter. Mais là on parle de l’Amérique d’aujourd’hui, donc stop ! »
Ecrivain « La plus grande qualité d’un écrivain, c’est le talent. Mais je suis aussi un bourreau de travail, car je suis un anxieux et je veux assurer mes arrières. J’aime gagner de l’argent, payer mes factures, prendre soin des gens qui comptent pour moi. Et faire de l’exercice, car c’est bon pour la santé ! »
Mémoire « Auparavant, je craignais que ma mémoire régresse avec l'âge, non que je la perdrais mais qu'elle se réduirait, serait moins précise. En fait, le passé brûle aussi intensément aujourd'hui dans mon imagination que quand j'étais un enfant ».
Politique « J’ai décidé de ne plus m’exprimer sur la politique. Ça divise les gens et ça ne produit que des réactions agressives. Je ne réponds plus jamais à des questions concernant l’Amérique d’aujourd’hui, qu’il s’agisse d’Obama, de Trump… »
Style « Sous l’influence de la langue de Los Angeles et du parler de la rue, mon style a changé. J’adore le langage de la diffamation, de la calomnie, que je laisse déferler dans les livres. J’aime la fiction populaire, les histoires, et je m’en raconte énormément. J’ai été marié deux fois, mais j’ai passé beaucoup de temps seul. Je marche souvent de pièce en pièce en me parlant à moi-même. C’est ainsi que j’ai créé mon propre style que je définis comme étant génial ! Dieu m’a donné l’amour de la langue et une volonté de fer : j’en suis vraiment heureux et reconnaissant. Je suis un solitaire et un travailleur acharné. Et ça marche ».