Logo

Adieu, Ferdinand ! suite et fin. Le Casino de Namur II : la brillante fin du tryptique de Philippe Caubère…

caubèrePar Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Donc, c’est fini… Apôtre du seul en scène, auteur- acteur, Philippe Caubère a donc décidé d’en finir avec son tryptique « Adieu Ferdinand ! ». Et comme il n’a jamais fait les choses à moitié, il interprète ces temps-ci dans le beau Théâtre du Rond-Point parisien les trois volets de la saga- il y a « La Baleine et le Camp naturiste », « Le Casino de Namur I » et le troisième, ultime et inédit « Casino de Namur II ». Une fois encore, Caubère, 69 ans, grandi artistiquement au Théâtre du Soleil de la grande Ariane Mnouchkine, rappelle que, dans le genre du seul en scène, en près de deux heures, il est le plus fort. Le meilleur.

Sur la scène, le décor est on ne peut plus minimaliste. Ambiance feutrée et lumière faible. Au milieu de l’espace, une chaise. Il n’en faut pas plus à l’acteur pour emmener le spectateur à Namur. Au casino de Namur, Belgique. Quelle idée ! Et pourquoi pas… Avec Philippe Caubère, qui pratique l’exercice depuis 1981 (certaines pièces de son « Roman d’un acteur » duraient trois heures !), tout est possible. Il n’a pas son pareil, dans le monde du théâtre francophone, pour passer d’un personnage à un autre dans le dixième de seconde. Ainsi, dans ce « Casino de Namur II » dont il signe également la mise en scène, il interprète pas moins de six personnages- dont les célèbrissimes Ferdinand Faure (son double transparent prénommé ainsi en hommage à Louis-Ferdinand Céline dont il lisait « Mort à crédit » quand il a commencé l’écriture de son œuvre !), l’ami Bruno (Raffaëlli) rencontré au Soleil de Mnouchkine et sociétaire de la Comédie-Française, et Jean-Marie Petrieux, fils de betteraviers belges qui a viré acteur (ce qui en a fait le raté de la famille)… 

Un soir (de déprime ? de réjouissance ?), les trois amis se retrouvent au casino de Namur- une métaphore de la société contemporaine. Oui, quelle idée étrange mais après tout, pourquoi pas une plongée en enfer, et pas seulement l’enfer du jeu… Dans un entretien, l’auteur Philippe Caubère rectifie : « Ce n’est pas l’enfer du tout, c’est même plutôt ludique et joyeux... Mais c’est la démonstration que Ferdinand ne pourra jamais s’adapter à la société. Il ne comprend rien aux chiffres, il mélange le rouge et le noir, les pairs et les impairs, et se fait détester par tous les croupiers dont il devient la bête noire... » Comme hier dans les différents chapitres de sa vie de Ferdinand Faure- Philippe Caubère, dans sa famille, au lycée, au Théâtre du Soleil ou à l’Ensemble théâtral de la Nouvelle Belgique… Tous ces lieux, toutes ces sociétés absolument pas faites tant pour Ferdinand F. que pour Philippe C. « Il comprend qu’il ne s’y fera jamais, ajoute l’auteur- acteur. Il joue, gagne, regagne, mais son copain Jean-Marie finit par le faire perdre. Tandis que Bruno qui, lui, gagne à la roulette, ne jouit que lorsqu’il perd aux cartes ! Il découvre la volupté suprême de perdre... C’est une journée qui, dans la réalité, nous a beaucoup marqués, Bruno Raffaëlli, le vrai, et moi... Ça a été, à l’époque, un poste d’observation extraordinaire. On a vu une dame âgée, grande bourgeoise belge, liftée à mort, jouer des dizaines de millions jusqu’à faire sauter la banque. Et qui jouissait à chaque coup sur sa chaise ! Je la joue dans le spectacle, elle était stupéfiante. Toute cette mythologie du Casino, où, donc, Ferdinand se fait jeter par tout le monde, m’a fasciné et beaucoup inspiré… »
Bien sûr, quelques pseudo-esthètes auto-proclamés « docteur ès théâtre » ont trouvé que dans ce dernier chapitre d’« Adieu Ferdinand ! », Philippe Caubère tourne à vide. D’autres ont regretté le temps passé où l’acteur tenait la scène pendant trois heures. A se demander s’ils n’auraient pas assisté au « Casino de Namur II », les yeux fermés… Certes, ce dernier épisode de la saga ne joue pas les grands espaces, on est dans le cadre confiné et fermé d’un casino, et les trois amis passent leur soirée à jouer, à gagner (pour Ferdinand), à gagner puis à perdre (pour Bruno qui découvre, là, le « sabot namurois », ersatz du Black Jack inventé par Caubère)- tout cela peut paraître répétitif mais, avec cet auteur- acteur qui avoue avoir été influencé par l’immense Zouc, l’humoriste suisse la plus célèbre du monde , ça se bouscule. Rythme trépidant, légèreté de l’interprétation avec un Caubère qui se déplace sur scène, tel un danseur… Comme s’il flottait à quelques dizaines centimètres du sol. Et que dire de son débit, du véritable vertige que peut procurer les changements de personnages- on a là un véritable transformiste, un Frégoli qui, lui, n’a pas besoin de changer de vêtements, de costume ; dans le dixième de seconde, la voix change, c’est Ferdinand puis Bruno puis Jean-Marie (ah ! Jean-Marie le conseilleur qui fait perdre Ferdinand dès qu’il donne le moindre conseil…) puis cette vieille bourgeoise namuroise, friquée et liftée…
Au magazine « Théâtral », interrogé sur la fin d’« Adieu Ferdinand », Philippe Caubère confiait récemment : « J’ai vidé mes tiroirs sur ma jeunesse. Je n’ai plus rien à raconter et ce qui reste fait partie du brouillon. Ça ne m’empêchera pas de jouer ces textes mais si j’en écris d’autres, ce ne sera que sur ce que j’ai vécu à partir de 30 ans. C’est autre chose parce que mon point de vue sur le monde n’est plus même »… Et en fin de soirée, avec les trois amis- Ferdinand, Bruno et Jean-Marie, on quitte le casino. Namur comateux. Tout juste cinquante francs belges en poche, sera-ce suffisant pour l’essence ? Désespérant, blafard, fantastique, déambulant quelque part dans des tableaux de Paul Delvaux ou de René Magritte, direction une « fancy-fair » à la fraise…

« JEAN-MARIE. Alors, regarde bien, Ferdinand ! Là, c’est tous les numéros, de zéro à trente-six. Il y en a des rouges, il y en a des noirs. Ici, c’est les couleurs : rouge et noir. Là, c’est les latéraux : pair, impair, passe et manque. Si ton numéro sort, c’est trente-cinq fois la mise, si c’est les latéraux, c’est deux. Tu peux jouer couleur et numéro ; ou que les numéros ; ou que les latéraux. As-tu bien compris?
FERDINAND. Non. Rien »

Adieu, Ferdinand !, suite et fin : Le Casino de Namur II 

Texte, mise en scène et interprétation de Philippe Caubère.
Assistant à l’écriture : Roger Goffinet
Lumières : Claire Charliot
Son : Mathieu Faedda
Chansons : André Burton
Photographies : Michèle Laurent et Sébastien Ma rchal
Durée : 1h45.

Dates et lieux des représentations : 
- 27 novembre 2019, 6, 10, 14, 18 et 28 décembre 2019, 3 janvier 2020 : 20h30. 1er et 22 décembre 2019, 5 janvier 2020 : 16h. au Théâtre du Rond-Point (2, bis avenue Franklin-Roosevelt, 75 008 Paris ) Tél. : 01 44 95 98 21 - www.theatredurondpoint.fr   - En alternance avec « La Baleine et le Camp naturiste » et « Le Casino de Namur I ».

A lire: 

- « Le Roman d’un Acteur. Tome 2. La Belgique » de Philippe Caubère. Editions Joëlle Losfeld. Parution : 24 octobre 2019. Prix : 25 €.
- « La Belgique » de Philippe Caubère fait suite au « Roman d’un acteur Tome 1 : L’âge d’or » (Joëlle Losfeld, 2003) et a été établi d’après les spectacles filmés par Bernard Dartigues lors de leurs dernières représentations au Théâtre de l’Athénée en 1994. Tout comme la première partie, ce texte est le produit de l’expérimentation littéraire que furent ces représentations, en plus de leur nature purement théâtrale, éphémère et ludique.

powered by social2s
Copyright © 2015 LAGRANDEPARADE – All rights reserved