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La double inconstance de Galin Stoev : une récréation marivaudienne sympathique

la double inconstance Par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.com/ Silvia, une jeune paysanne éprise d’un garçon mal dégrossi de son village du nom d’Arlequin, a été enlevée par le prince car il est tombé amoureux de sa candeur et sa beauté naturelle lors d’une de ses escapades hors du palais. Il charge Trivelin et Flaminia de faire en sorte de rompre l’amour entre les jeunes gens. Flaminia réussit très vite à gagner leur amitié et leur confiance. Elle apprend ainsi que Silvia ressent de l’attirance pour un officier qui lui a rendu plusieurs visites et dont elle ignore qu’il n’est que le prince lui-même. Au fur et à mesure, Arlequin et Silvia se laissent séduire par la vie de château; Arlequin en pince pour Flaminia et Silvia soupire après son officier…Lorsque le prince dévoile son identité, deux mariages consentants se concrétisent…sauf que Galin Stoev, comme d’autres lecteurs émérites avant lui, en fait une lecture moins naïve. Les deux paysans sont constamment manipulés dans cette histoire et ils ne sont pas véritablement maîtres de leur choix…la dernière image du spectacle focalisant les regards sur les moues interrogatives et consternées d’Arlequin et Silvia nient la possibilité future d’unions réussies. Triste constat mais constat réaliste. Le marivaudage et les mots bien tournés ont gagné la partie mais pour combien de temps?

La mise en scène de Galin Stoev est pertinente..mais comme toutes les pièces qui sur-additionnent les effets, elle ne convainc pas complètement. Entendons-nous bien : cette Double Inconstance est une récréation théâtrale plaisante et dont on aurait tort de se priver…mais le « trop » gâche un peu l’émotion, fatigue l’attention du spectateur et lorsque la dernière réplique s’invite, l’on se sent tout de même soulagé que ce soit terminé. La scénographie, d’abord, extrêmement imposante, pose sur le plateau une sorte d’aquarium géant dans lequel est enfermée Silvia un moment et qui devient ensuite un lieu propice aux rencontres discrètes, même si des micros permettent d’entendre à tout moment ce qui s’y joue. A l’extérieur, quelques tables et accessoires faisant office de « laboratoire », de « poste d’écoute ». Des couloirs, de chaque côté de cette bulle transparente, pour écouter dans l’ombre, préparer son attaque, peaufiner sa stratégie. Les amants deviennent des animaux de laboratoire que l’on étudie et sur lesquels l’on tente des expériences.

Si l’esthétique de ce décor est appréciable - à laquelle s’ajoutent des jeux de lumière seyants qui sculptent chaque scène avec justesse -, son intelligibilité sonore l’est beaucoup moins….et l’on perd beaucoup du texte de Marivaux dans cette "caisse" de résonance. L’utilisation ensuite de la vidéo tarde à prouver son réel intérêt. Elle reste longtemps une paraphrase de ce qui se trame…cherche à dévoiler au spectateur - qui n’aurait pas compris - les coulisses de l’intrigue. C’est donc efficace pour le public scolaire qui comprend mieux la problématique constante des faux-semblants chez Marivaux et les rapports complexes entre les faibles et les puissants mais elle sur-ajoute de l’information aux autres qui n’en auraient pas besoin. Les costumes de Bjanka Adžić Ursulov, déclinaisons de blanc et de formes excentriques ou classiques, séduisent l’oeil mais brouillent la compréhension des statuts sociaux des personnages. Lisette a l’air d’une grande dame de la cour, Flaminia d’une dominatrice, Silvia traîne en déshabillé…et l’ensemble manque de subtilité. Alors certes, Marivaux aime brouiller les pistes par le truchement du langage ou du travestissement mais du coup, insister fait redondance.

Devant cette exacerbation de l’amoralité des rapports amoureux, l’on reste un peu déçu….peut-être parce que le théâtre ici oublie que le spectateur n’a pas qu’un rôle passif à jouer dans la construction de la pièce…et que tous ne viennent pas pour faire une critique des effets dramaturgiques et scéniques mais bien pour se nourrir d’un texte et l’interpréter à leur guise. C’est dommage car les mots de Maritaux sont superbes et ils distravaguent à souhait! Laissons-leur un peu de latitude!
Cette Double Inconstance offre le plaisir de vivre les étourdissements de l’amour de la jeunesse, l’éphémérité des sentiments, de s’indigner de la perfidie à qui mieux mieux des dirigeants et de s’émouvoir de la fébrilité des victimes mais l’on préférerait, à certaines minutes, qu’on laisse cette distribution de qualité prendre le devant de la scène. La vision de la pièce de Galin Stoev est intéressante mais la profusion des effets utilisés étouffe le texte et rend l’ensemble moins mémorable.

La double inconstance
De : Marivaux
Mise en scène : Galin Stoev
Scénographie : Alban Ho Van
Vidéo : Arié Van Egmond
Lumière : Elsa Revol
Son et musique : Joan Cambon
Costumes : Bjanka Adžić Ursulov
 Réalisation du décor et des costumes : les Ateliers du ThéâtredelaCité
Assistante à la mise en scène : Virginie Ferrere
Avec : Léo Bahon, Maud Gripon, Eddy Letexier, Thibaut Prigent, Mélodie Richard, Clémentine Verdier et Thibault Vinçon
Durée : 2h

Dates et lieux des représentations:
- Les 28 et 29 novembre 2019 à la Scène Nationale de Sète et du Bassin de Thau ( 34)
- 5 décembre — 6 décembre 2019 - Le Quartz, scène nationale de Brest
- 12 décembre - 13 décembre 2019- Le Parvis, scène nationale Tarbes-Pyrénées
- 28 avril — 30 avril 2020 - La Comédie, CDN de Reims
- 12 mai — 6 juin 2020 - Odéon - Théâtre de l’Europe

double inconstance

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