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Prémices de la chute : Du petit Kelkal au grand Ben Laden, par un historien du djihadisme

  • Écrit par : Guillaume Chérel

chutePar Guillaume Chérel - Lagrandeparade.com/ Il y a quelques mois, nous disions tout le bien que nous pensions, ici, du tonitruant La Guerre est une ruse, premier tome de ce qui était annoncé comme le début d’une trilogie, où l’auteur, Frédéric Paulin, se servait de l’Histoire récente de l’Algérie - et de sa (sale) guerre « civile » -, comme matière à un roman noir qui a reçu, depuis, le prix du meilleur polar 2018 Le Parisien. La suite annoncée, Prémices de la chute, ne provoque pas le même effet de surprise. Doit-on cependant en conclure qu’il est moins bon ? Chacun jugera, questionnant ses goûts et capacités à déterminer ce qui fait un bon livre…


Cette fois, nous sommes en France, en janvier 1996, dans la banlieue de Roubaix. Deux voyous, a priori, tirent sur des policiers lors d’un contrôle routier. Un journaliste local, Réif Arno, qui ne paie pas de mine, s’intéresse à ces types qui arrosent les flics à la Kalachnikov. D’après sa petite enquête, il apprend qu’ils ont fait le coup de feu en ex-Yougoslavie, dans la brigade El Moudjahidin. Les flics locaux ne le prennent pas au sérieux, au début, puis ils mettent la DST sur le coup. C’est à partir de là que Frédéric Paulin s’égare à nos yeux. Au lieu de rester avec ses personnages (car la petite Vanessa, qui veut être journaliste, s’est amourachée du localier), il nous abreuve d’infos (bien renseignées) mais qui donne davantage l’impression de lire un rapport circonstancié qu’une œuvre littéraire romanesque.
Jugez-en : le commandant Laureline Fell s’intéresse de près à ces Ch’tis qui se réclament du djihad et grâce à Tedj Benlazar, qui est à Sarajevo pour la DGSE, elle récolte des infos sur la Brigade et ses liens avec Al-Qaïda, dont le chef est un certain Ben Laden (1,96 m), un ancien d’Afghanistan, qui crapahute dans les montagnes aidée d’une canne… Le dit Benlazar a l’intuition que le chaos viendra de ces montagnes, alors que le corps du jeune Kahled Khelkal, un jeune « djihadiste » est encore tiède. L’attentat du RER B, le 3 décembre 1996, n’a pas encore eu lieu… La France n’a pas encore gagné sa première Coupe du monde, en 1998, et le World Trade Center est encore debout. Paulin nous fait voyager et dans le temps et dans l’espace, de la Bosnie aux grottes de Tora Bora, en passant par et Tibhirine, en Algérie, puis revient à Roubaix, avant d’aller à New-York, avec ce deuxième tome qui fourmille de noms et de logos (DGSE, DST, GIA, FIS, RG, CIA, SDAT…) 
Si dans La guerre est une ruse, plus écrit, moins saccadé, l’auteur prenait le temps de planter le décor - comme au début de Prémices de la chute, d’ailleurs – cette fois Paulin nous inonde de faits avérés, vérifiés, et pour cause… comme pour prouver qu’il est bien documenté, répétons-le. Son mérite est d’élargir la focale, comme le dit Marc Villard, auteur de polar et critique qui sait de quoi il parle. Rappelons-nous ce qu’il écrivait dans La guerre est une ruse : « Les généraux algériens ont mis les mains dans la caisse et sont devenus richissimes. L'Algérie est assise sur un trésor de pétrole et de gaz... Or, l'Algérie est un pays riche (…). Tous ces jeunes chômeurs qu'on appelle les « hitistes » (dos au mur), c'est absolument tragique. C'est ubuesque : un type comme Bouteflika, l'actuel président, était déjà là en 1962 (indépendance de l’Algérie ndla). Il va même peut-être briguer un autre mandat bientôt. Ce type est vieux, malade, à moitié paralysé... C'est ça, l'Algérie. Je suis persuadé qu'au quai d'Orsay, on sait exactement où on en est, et on y trouve un intérêt. L'Algérie, c'est un pays qui ne change pas. Sauf avec l'arrivée de la Chine : les troubles qui ont lieu à Alger, dans les quartiers chinois, sont provoqués, entre autres, par le fait que les Chinois sont en train d'installer des commerces chinois en Algérie... L'Algérie d'aujourd'hui, c'est 60% de la population qui a moins de 18 ans, et un taux de chômage effroyable. Le terreau parfait pour l'épanouissement du terrorisme. ».
Bref, on sent un peu trop, cette fois, l’ancien professeur d'histoire et de géographie, en collège et lycée. Frédéric Paulin est à son meilleur quand il s’essaie à une littérature qui donne à voir, autant qu’à réfléchir. Le prochain et dernier tome devrait logiquement être consacré à la traque de Ben Laden, évoqué à la fin de Prémices de la chute, qui se termine par celles des avions détournés le 11 septembre 2001. Vivement le bouquet final !

Prémices de la chute
Editions : Agullo Noir
Auteur : Frédéric Paulin
312 pages
Prix : 21 € 

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