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Intisar en exil : du « regard qui tue » et des « connexions bizarres »

  • Écrit par : Julie Cadilhac

intisar en exil Par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ « La Voiture d’Intisar », avait reçu le prix France Info 2013 ; elle retraçait déjà le parcours d’une Yéménite moderne, délicieusement féministe. « Intisar en exil » poursuit dans un second tome cet idéal de liberté. On vit au quotidien ici son exil en Jordanie, sa complicité précieuse avec son frère Saleh, ses conflits avec son père et sa nécessité de tempérer sa nature belliqueuse pour des raisons trivialement financières, son inquiétude aussi pour ses proches ayant décidé de rentrer au pays, malgré la guerre civile et les bombardements saoudiens, son groupe whatsApp de copines et leurs manières différentes de supporter l’adversité du couple…

Les péripéties de la vie d’Intisar sont nées des témoignages de dizaines de femmes que Pedro Riera a rencontré au cours de ses voyages au Yémen. Ce personnage de papier - parce qu'Intisar n'existe pas réellement non! - donne l’opportunité passionnante de témoigner des espoirs et des combats au quotidien des femmes yéménites pour lesquelles la guerre civile et l’exil ouvrent paradoxalement une lucarne de liberté, vis à vis de l’emprise des hommes.

Accompagné des dessins tout à la fois réalistes et sensibles de Sagar, rehaussé de couleurs pertinentes et de mises en scène expressives, le scénario de Pedro Riera est génial. Le roman graphique se dévore d’une traite tant la personnalité d’Intisar est attachante, ses répliques pleines d’humour et de bon sens…de nombreuses réflexions restent ainsi en mémoire dont celle, par exemple, d’une amie d’Intisar qui explique qu’il faut céder sur des choses triviales avec son époux pour pouvoir gagner quand il y a un enjeu sérieux : «  Les hommes pensent en termes quantitatifs. Tant qu’ils gagnent neuf discussions sur dix, ça ne fait rien, ça leur est égal de céder sur les choses importantes. » Ou encore toutes  les « bonnes raisons » d’Intisar de porter un niqab.

« Intisar en exil » est un ouvrage percutant. Le scénariste y insère de nombreux passages didactiques sur la situation du Yémen - expliqués de manière très accessible - et fait d’Intisar le porte-parole brillant de femmes qui aspirent à être libres, ont un regard juste et lucide sur les conflits dont elles sont les victimes et ont développé des méthodes de survie pour résister à l’absurdité d’un monde cynique et agressif, comme ce fameux « regard qui tue » que la jeune femme pratique en compagnie de son neveu hilare ou encore ce jeu des « connexions bizarres » que beaucoup utilisent pour justifier l’inexplicable et qu’elle emploie, elle, comme arme dissuasive vis à vis de son ancienne amie Amina.

A lire, à offrir, à faire circuler encore et encore! Du féminisme intelligent et salvateur! Un "témoignage" en bulles pour faire peut-être bouger un peu les lignes et expliciter au plus grand nombre des réalités du monde arabe que les médias occultent ou ne relaient pas toujours avec pertinence ( voir notamment le chapitre sur le "printemps arabe"). Et quelle couverture percutante!

Intisar in exil
Editiobs: Delcourt
Collection : Encrages
Scénariste : RIERA Pedro
Illustrateur : Sagar
Coloriste : Sagar
Date de parution : 12/09/2018 
Prix :19,99€

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