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The encounter : une immersion binaurale mémorable dans la vallée Javari de Simon Mc Burney

The encounterPar Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ 1969. Amazonie. Loren McIntyre, photographe américain du National Geographic, s'égare en suivant dans les profondeurs de la forêt amazonienne des habitants de la vallée Javari, les Mayurona, le peuple chat. Une expérience profondément troublante aux limites de la conscience humaine que découvre un jour Simon Mc Burney dans un livre de Petru Popescu, " Amazon Beaming". Quelques années plus tard, il décide de relater cette histoire seul sur scène. A l'ère du numérique et d'une technologie avancée, l'artiste-interprète choisit de faire entrer les spectateurs dans la jungle par le biais d'un plateau où règne l'artificialité et le non-naturel...une manière de " faire comprendre ainsi la puissance de l'imagination" et de faire réaliser également que même au coeur d'un univers extrêmement urbain, "on ne peut échapper à la nature". Au moyen d'enregistrements que délivre son téléphone, de samples de bruitages qu'il crée en direct sur le plateau, il narre avec ferveur cette démarche, colonialiste au départ, d'un homme qui vient PRENDRE des photos, donc s'approprier quelque chose qui ne lui appartient pas, et qui, du fait du basculement de la situation, en faisant l'expérience de la résistance et de la survie, va expérimenter avec son corps devenu vulnérable en substance un monde qui disparaît.

L'enjeu de ce spectacle est double : Simon McBurney y retranscrit d'abord le vécu de Loren en nous immergeant, au moyen de casques, dans sa solitude au sein de la jungle brésilienne. Sur le plateau, une tête-micro binaurale est une sorte de présence physique du spectateur, permet une empathie et une proximité accrues. Cette expérience saisit l'auditeur qui ressent peu à peu physiologiquement ce périple dans la jungle. Si l'ouïe se veut le média majeur de cette transmission de vécu, la performance corporelle de Simon Mc Burney sur le plateau ajoute de surcroît de nouvelles sensations...sa danse du commencement s'imprime organiquement en nous, sa course folle pour exorciser le sort de Joues Rouges et de la tribu étourdit nos membres. En outre, les jeux de lumière sur le mur anéchoïque rendent certaines scènes hypnotiques et se superposent avec pertinence à nos perceptions auditives.

[bt_quote style="default" width="0" author="Simon Mc Burney "]Dans "The Encounter", Je fais appel à quelque chose que nous partageons tous : l'instinct.[/bt_quote]

Par le truchement de ce récit, Simon Mc Burney invite également le spectateur à une réflexion sur la conscience, les mécanismes du cerveau et le langage. Brillant anthropologue, il montre par exemple, via la communication sans mot dans la " langue ancienne" entre Loren et Balane, le chef de la tribu, que " le langage est une barrière entre nous et le monde". Lors de l'entretien avec le public qui a suivi la deuxième représentation du Festival du Printemps des Comédiens 2016, l'acteur-concepteur, qui est allé à la rencontre de ce peuple indigène, a expliqué : " Chez les Mayurona, il y a une continuité entre l'intérieur et l'extérieur de soi. Quant on leur demande où se situe le siège de leur conscience, ils désignent la forêt. L'homme moderne, lui, la situe au niveau de la tête, du coeur...en tous cas, au niveau de quelque chose qui tourne autour de lui. De façon générale, il voit le monde sous forme de dualité. Il divise et oppose tout."  "The encounter - La rencontre" exprime avec autant d'acuité que de justesse comment deux conceptions du monde se dévisagent. Un choc dont l'homme moderne reviendra à jamais transformé. Simon Mc Burney réussit à mettre en lumière les différences intestines entre Loren qui conçoit le temps comme une ligne indéfinie - la disparition rassurante de sa montre est ainsi un premier pas vers l'autre monde - et la tribu qui l'imagine comme un cercle. Notre civilisation qui essaie de dénouer les mystères du temps et celle de peuples qui agissent avec. Notre monde qui sauvegarde tout et s'enchaîne inexorablement à son passé et un autre qui, par les flammes purificatrices, s'en défait et retourne au commencement.

Les allers-retours entre plusieurs niveaux narratifs contribue à développer cette réflexion sur le temps en en fracturant la perception et nous plongent davantage encore dans ce vécu empirique extra-ordinaire. Durant deux heures, se mêlent : la réalité du plateau - Simon Mc Burney- artiste se mouvant sur scène devant les spectateurs avec un paquet de chips que l'on peut follower sur Twitter. Une couche narrative - parenthèse délicieuse de fraîcheur et de douceur - dans laquelle sa fille de sept ans (une voix enregistrée) pointe le bout de son museau, au creux de la nuit, curieuse de ce que fait son père et à laquelle l'acteur-personnage prend le temps de répondre. La fiction elle-même où Simon Mc Burney est tout à la fois le narrateur et l'incarnation de Loren.

Ce voyage dans le temps, véritable transe imaginaire, est aussi fascinant que troublant. Simon Mc Burney réussit à y exprimer l'indicible, à faire ressentir " l'indéracinable présent" au travers d'un continuum de vibrations synesthésiques. Des Adidas grillées au feu de bois au singe laineux voleur d'appareil-photo, de Tuti à l'hominivorax, du regard rond du ouistiti-lion à la drogue hallucinogène qui exacerbe les pulsions animales, les mots, portés par la voix grave et enveloppante de Simon-Loren, nous plongent dans une autre réalité, où notre pétrole est le sang précieux de la terre, Loren se nomme Tayah, le temps a un visage flottant ...et les pensées se tissent et se déploient "en fréquence d'araignée".

[bt_quote style="default" width="0" author="Simon Mc Burney"]L'imagination et la mémoire, c'est la même chose. Le souvenir n'existe pas dans le cerveau, il faut le recréer à chaque fois.[/bt_quote]

En 1969, Loren McIntyre, de par sa survivance, prouvera que ce qu'il a vécu était réel. Aujourd'hui, Simon Mc Burney nous connecte par la puissance de l'imagination à ce passé-présent qui renaît grâce aux capacités étonnantes de notre cerveau-mémoire. Il nous délivre en épilogue un message des Mayurona eux-mêmes "Les Mayurona existent". L'Amazonie existe, ses arbres, sa faune, ses peuples pour lequel l'acculturation est souvent un péril. L'Amazonie, le poumon de l'humanité. Tâchons de faire en sorte que cette réalité ne finisse pas par n'exister que dans notre imagination...


Merci à la compagnie Complicité pour cette fable humaniste à l'élan britannique de génie.

 

The Encounter - La Rencontre

Compagnie Complicité

Un projet de et avec : Simon McBurney
Coréalisation : Kirsty Housley
Scénographie : Michael Levine
Son : Gareth Fry avec Pete Malkin
Lumière : Paul Anderson
Vidéo : Will Duke
Adjoint à la mise en scène : Jemima James
Photo : Robbie Jack

Production : Complicite | Coproduction : Théâtre de Vidy, Edinburgh International Festival, The Barbican Londres, Onassis Cultural centre Athènes, Schaubühne Berlin, Warwick Arts Centre | Avec le soutien de : Sennheiser, The Wellcome Trust, Fondation Leenaards.

© Robbie Jack

Dates des représentations:

- Les 16, 17 et 18 juin 2016 au Théâtre Carrière - Festival du Printemps des Comédiens 2016 - Première en FRANCE

- Du 23 au 25 juin 2016 à Les Nuit de Fourviere, Lyon

- Du 29 septembre au 8 janvier 2017 au John Golden Theatre à Broadway

- Du 30 mars au 1 avril 2017  à Ann Arbor, Michigan

- Du 6 au 16 avril 2017 à Wallis Annenberg, Los Angeles

- Du 29 mars au 08 avril 2018 au Théâtre de l'Odéon - Paris - 6ème

 

Citations de Simon Mc Burney recueillies lors de la rencontre après la représentation animée par Gérard Lieber , le 17 juin 2016 au Festival du Printemps des Comédiens. 

 

[bt_quote style="default" width="0" author="Simon Mc Burney"]Dans ce spectacle, je pose continuellement la question du vrai et du faux.[/bt_quote]

 

 

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