Logo

Histoire d'amour : Sur les planches, l'amour et la violence s'affrontent en bulles

HIstoire d'amourPar Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ Le texte de Régis Jauffret est aussi aussi violent que bouleversant ; il narre l’histoire d’un jeune professeur d’anglais qui croise une inconnue dans le métro et s’éprend follement d’elle. Follement, sans exagération ni métaphore. Incapable de maîtriser le déferlement d’émotions qui l’envahit, ses instincts prennent le dessus et il poursuit la jeune femme, Sophia, jusqu’à chez elle. La viole ensuite parce que cette dernière, paralysée de peur, n’émet aucun son, ne manifeste que peu de gestes de défense et qu’il prend cela pour un accord tacite. Le réveil est plus douloureux ; il est interpellé par la police, placé derrière les barreaux jusqu’à ce que la plainte soit retirée une semaine après le méfait. Encouragé et aveugle, il retourne alors chez elle et ne cesse de la harceler, moralement et physiquement, jusqu’à ce qu’elle cède, résignée et brisée, l'épouse et lui donne une descendance.

L'écriture de Régis Jauffret exprime avec justesse l'impétuosité du désir et la rage frénétique qui malmènent un être qui ne sait pas aimer. Le dramaturge nous conte une "Histoire d’Amour" aussi imaginaire que tristement réaliste. En exhibant  un « violeur amoureux » psychopathe, elle nous force à réfléchir sur la violence réelle de nombreux liens conjugaux et concubins ; Sophia n’oppose que peu de résistance face à son agresseur, se mure dans un silence terrible et entretient sans le vouloir un mécanisme malsain de culpabilité et de tendresse qui succède à des crises de désespoir et de pleurs qui contribuent à exciter l'amant "malade" dont elle n'aurait jamais du croiser le chemin. En face, l'homme se repait de sa terreur, se complait dans cette relation sadomasochiste et n’arrive pas à faire cesser le schéma initial de la victime et du bourreau.
Pour porter ce drame, Zagal a choisi deux comédiens épatants de sincérité et de force: Julián Marras use d'un flux de paroles torrentiel qui nous transperce de crudité  tandis que Bernardita Montero incarne une icône malmenée qui nous émeut par sa fragilité et sa beauté sacrifiées. Le metteur en scène chilien les fait jouer entre deux écrans de tulle, pour maintenir la confusion entre la scène et l’écran et l’on assiste ainsi à une « projection jouée en temps réel » qui choisit la bande-dessinée comme vecteur de narration. Tout est donc raconté par le biais du jeune homme, narrateur qui dit «  je » et exprime avec une véracité désarmante ses pensées les plus secrètes et les plus emportées. L’illusion est si parfaite qu’il semble que les deux comédiens ont le don magique de se fondre dans les planches ; les onomatopées explosent dans nos pupilles, les récitatifs obsèdent, les plongées et contre-plongées se succèdent pour produire autant de bulles à la vérité dérangeante.
La Cie Teatrocinema prouve, une fois de plus, qu’elle s’arme de génie face à chaque nouveau challenge artistique qu’elle s’impose ; la bande-dessinée se marie ici avec le théâtre et la vidéo, avec une virtuosité et un naturel percutants . Une Histoire d’Amour qui n’a pas fini de faire parler d’elle!

ZagalNé en 1961, Juan Carlos Zagal suit les cours d’art dramatique à l’académie de théâtre de l’université catholique du Chili. En 1987, il fonde la compagnie La Troppa avec Laura Pizarro et Jaime Lorca:  « La Troupe » de ceux qui avancent d’un pas solide à l’heure de la dictature. Ensemble ils écrivent, mettent en scène, produisent et jouent dans le monde entier El Santo Patrono, Rap del Quijote, Viaje al Centro de la Tierra, Pinocchio ou encore Jesús Betz. En 2006, Juan Carlos Zagal fonde la compagnie Teatrocinema. En 2013, après s’être interrogé sur les relations entre théâtre et cinéma, puis entre théâtre et animation en 2 et 3D, il crée Histoire d’amour, une adaptation du roman de Régis Jauffret, dans laquelle il met la bande-dessinée au centre du propos, plaçant, comme dans ses précédentes créations, ses comédiens entre deux écrans de tulle, pour entretenir la confusion entre scène et image. Depuis la compagnie Teatro Cinema a monté une autre petite merveille de virtuosité : La Raconteuse de films. Retour sur notre rencontre en 2014 avec l'artiste Juan Carlos Zagal.

Comment s'est créée la compagnie Teatrocinema? Qui en est à l'origine?
La compagnie Teatrocinema s’est créée en 2005 quand les membres de la compagnie La Troppa se sont séparés. Laura Pizarro et moi-même avons invité de nombreux techniciens et comédiens à nous rejoindre pour commencer cette nouvelle aventure d’expérimentation théâtrale.

Mélanger les techniques du théâtre et du cinéma, c'était une façon de ne pas trancher entre le sixième et le septième art? La volonté de s'affranchir de certaines contraintes du théâtre... possibles au cinéma?
Notre théâtre est construit à partir de l’imagination et du jeu dans le but de pouvoir obtenir la plus grande liberté possible au moment de raconter une histoire. Notre mise en scène se fonde sur ce principe : le voyage du comédien dans le temps et l’espace de façon instantanée (via des cuts, des ellipses, des flashbacks…).

Si vous nous expliquiez les raisons de votre coup de cœur pour le roman de Régis Jauffret...
Le choix de ce roman s’explique principalement par les caractéristiques du protagoniste. Pour nous, il s’agit d’un anti-héros qui se dirige vers la perdition et l’obscurité à cause de sa folie mentale. Cette obsession naît à partir de son désir de domination qui est à la fois le reflet d’une incapacité d’aimer, laquelle résulte de la solitude, propre aux villes contemporaines. Nous avons trouvé là une opportunité pour réinterpréter le concept de monologue, mais cette fois liée à l’action et aux changements de temps et d’espace.

Avec vos mots, comment résumeriez-vous cette "Histoire d'amour"?
La folle obsession d’un homme qui est incapable de trouver le véritable amour.

Et si vous deviez citer une phrase ou plusieurs du roman pour illustrer votre propos, laquelle (ou lesquelles) serait-ce?
« Je lui ai fait remarquer que nous étions vraiment seuls au monde. Je faisais des commentaires, elle me laissait parler dans le vide. Elle était devenue mon obsession, j'aurais donné le peu d'argent que j'avais épargné au cours de ma carrière pour le simple plaisir de tenir quelques instants sa tête dans mes mains. »

Dans Histoire d'amour, vous vous tournez vers la bd. Si vous deviez évoquer des bandes dessinées qui vous ont marquées, lesquelles seraient-ce? Vous ont-elles influencé pour créer cette pièce?
Milo Manara, Moebius, Sin City de Frank Miller, Corto Maltes de Hugo Pratt.

Vous avez choisi un langage théâtral "en noir et blanc"...pour ne pas dénaturer l'ambiance du roman? pour des raisons visuelles?
Nous voulions jouer avec le contraste entre le noir et blanc, lequel symbolise pour nous aussi la différence qui existe entre les deux personnages, qui les sépare mais en même temps les rapproche jusqu’à les faire se heurter.

Si la bd est présente, il faut un dessinateur... qui avez-vous choisi et pourquoi?
Le dessinateur est Vittorio Meschi, artiste visuel influencé par les codes urbains contemporains.

Avez-vous  adapté ce roman sous la forme d'un scénario? Avez-vous demandé conseil à des scénaristes (par exemple) pour monter ce canevas « theatrobd »?
Montserrat Quezada (réalisatrice audiovisuelle) et moi avons adapté le roman comme un scénario de cinéma, en divisant clairement les indications pour l’équipe de théâtre et celle de cinéma. Il y a beaucoup d’indications techniques pour le décor et les mouvements de caméras et des comédiens. Ils sont très précis et ils indiquent aussi les liaisons entre une scène et une autre. Finalement, Vittorio Meschi a développé un storyboard complet de la pièce que l’on a mis face aux textes, ce qui donne finalement un « story-scénario ».

Faire monter la bd sur les planches a nécessité une réflexion préalable de votre part sur le neuvième art, on suppose…. Quels sont les spécificités esthétiques de cet art que vous avez voulu reproduire sur la scène?
C’est une bd vivante, en noir et blanc, en trois dimensions, qui place le spectateur derrière une caméra et l’invite à expérimenter le vertige et l’hypnose du voyeur.

Y avait-il des écueils possibles dans cette conception originale, mélange de théâtre et de bd? ou avez-vous trouvé, justement, que ces deux arts s’entendaient à merveille?
Il y a eu beaucoup d’écueils pour trouver la synthèse gestuelle qui caractérise la bd. Et aussi, d’autre part, pour trouver l’équilibre entre les différents cadres dessinés et les comédiens sur le plateau. Nous avons trouvé qu’il y avait des éléments en commun permettant aux comédiens de jouer de façon réelle mais en faisant allusion directement à la bd.

C'est le troisième volet d'une trilogie...pourriez-vous expliquer à nos spectateurs en quoi Histoire d'amour clôture cette trilogie?
Histoire d’amour conclut l’expérimentation du voyage au cours du temps et de l’espace de manière instantanée. Après sept ans d’expérimentation, on peut dire que nous sommes très loin d’arriver à cristalliser l’image intérieure de notre aventure. C’est extrêmement difficile de construire ce langage (le réaliser, le jouer, l’imaginer, le financer) et à la fois c’est un énorme défi pour nos explorations artistiques.

Histoire d’amour
Adaptation du roman de Régis Jauffret ( Editions Gallimard)
Traduction : Carlos González Guzmán
Adaptation : Zagal, Montserrat Quezada
Mise en scène : Zagal
Conception artistique : Laura Pizarro, Vittorio Meschi
Assistante à la mise en scène : Montserrat Quezada, Laura Pizarro
Montage vidéo : Montserrat Quezada
Conception graphique : Vittorio Meschi, Luis Alcaide, Cristián Mayorga
Musique originale : Zagal
Conception multimédia : Mirko Petrovich
Création bande son : Matías del Pozo
Story-board : Vittorio Meschi, Abel Elizondo
Animation et postproduction : Ilana Raglianti
Assistant animation : Sabastián Pinto
Assistant graphique : Max Rosenthal
Conception lumière et direction technique : Luis Alcaide
Avec Julián Marras & Bernardita Montero

Spectacle créé en juin 2013 à Santiago du Chili.

[bt_vimeo url="https://vimeo.com/85426654" width="600" height="400" responsive="yes" autoplay="no"][/bt_vimeo]

La raconteuse de films : une superbe fable désenchantée au "coeur de grenade" de la Cie Teatrocinema

Prochaines dates :

-Le 17 juillet 2016 au Grec Festival de Barcelone - Teatre Liure

Enregistrer

powered by social2s
Copyright © 2015 LAGRANDEPARADE – All rights reserved