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Poison : une mise en scène intimiste pertinente sur la résilience

  • Écrit par : Julie Cadilhac

PoisonPar Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ Pays-Bas. Une salle d'attente impersonnelle pour un rendez-vous éprouvant. Un homme, une femme. Un passé. Ils se sont aimés, ont eu un fils, Jacob, fauché par un camion et enseveli non loin de là. Lui est parti un soir de veillée de nouvel an. Un 31 décembre 1999 à 19h10 exactement. Elle ne l'a pas retenu. 30 secondes avant qu'il ne démarre. Une éternité.

Six ans plus tard, ils sont là, réunis par un malheureux hasard et la fébrilité les domine. Que se dire après tant d'années? Comment dépasser l'agressivité et la rancune? Qu'attend-on de l'autre sinon une délivrance qui est impossible? Y-a-t-il des recettes-miracle pour se reconstruire? Peut-on laisser les choses derrière soi? Est-ce que la souffrance apprend forcément quelque chose? Est-ce indécent de l'exposer à d'autres? de tenter de l'exorciser? Est-ce que le poids d'un drame diminue si l'on continue à vivre? Est-ce qu'un jour ça peut être comme "avant"? Autant de questions que soulèvent les deux protagonistes, le cul entre deux chaises - vous nous excuserez l'expression.
Dans la feuille de salle, on peut lire cette confidence de l'auteure de la pièce : " Je n'avais pas l'intention de manipuler des archétypes : pour moi, le rôle de l'homme n'est pas un symbole de l'homme en général, de même pour le rôle de la femme.". Reste que le " typiquement masculin" et le "typiquement féminin" se manifestent ici avec acuité... Elle, est tournée vers le passé, lui, vers un futur dont il semble réclamer la validation auprès de son ex-femme. Elle voit en lui "l'imperfection", "une histoire ratée"...Lui retrouve avec émotion la fossette qui l'avait émue lors de leur première rencontre. Il cherche à se libérer des souvenirs trop lourds, elle se fait un point d'honneur à les conserver vivaces. Il se débat, trouve le bonheur dans les situations simples, "sans rien attendre de plus", elle s'est résignée à une vie sans saveur parce qu'elle espère retrouver ce qui n'existe plus, elle aspire à ce que quelqu'un la sauve. L'Idéalisme face au Pragmatisme.
Pourtant, ces postures vis à vis de la résilience pourraient être interchangées. C'est en cela que le texte de Lot Vekemans est extrêmement intéressant. Le "typiquement masculin" et le "typiquement féminin" ne sont catégorisés comme tels qu'à cause de nos représentations sociales, nos préjugés et la réalité d'un monde qui épargne moins les femmes et les contraint malgré elles à se cantonner à ce rôle. Un texte troublant et juste, donc, pour celui qui fera l'effort de l'entendre, comprenez, poussera la réflexion plus loin et s'interrogera sur les raisons profondes de nos agissements et comportements.

Oui, davantage encore que les retrouvailles d'un couple séparé qui a vécu un drame terrible et n'arrive plus à communiquer, se dessine ici un portrait complexe et juste des relations humaines. Dag Jeanneret a tissé une belle complicité entre ses comédiens. Rien de trop, ils nous apparaissent immédiatement comme des êtres auxquels on peut s'identifier aisément. Pétri de paradoxes, d'incertitudes, de remords, de regrets et de culpabilité. Vivants mais abîmés. D'une fragilité désarmante.

"Poison" est un texte délicat, composé dans une prose fluide et naturelle, qui séduira les amateurs de tranches de vie sans fioriture où l'humanité se dévoile avec pudeur et sincérité. Monter cette pièce est une démarche louable de Dag Jeanneret qui révèle une fois de plus sa capacité à nous parler intimement de ce que nous sommes et à mettre des comédiens à nu, sans artifice autre que leur présence sensible.

 
Poison

De Lot Vekemans, traduit du néerlandais par Alain van Crugten
Avec le soutien de la Maison Antoine Vitez
Centre International de la Traduction théâtrale
Texte publié aux Editions Espaces 34

Mise en scène : Dag Jeanneret
Avec : Christophe Reymond et Sophie Rodrigues
Scénographie et costumes : Cécile Marc
Lumières : Christian Pinaud
Direction technique : Christophe Robin
Photo : Cécile Marc

Crédit-photo : Marie Clauzade

Production : Compagnie In Situ | Coproduction : sortieOuest et Printemps des Comédiens.

Dates des représentations:

- Du 10 au 12 juin 2016 au Théâtre d'Ô - Festival Printemps des Comédiens 2016

- Les 1,2 et 3 mars 2017 au Théâtre Sortie Ouest, Domaine départemental d'art et de culture de Bayssan

- Les 30 et 31 mars 2017 à la Scène Nationale de Sète et du Bassin de Thau

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