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David Lescot : "ce qu'Aristote défend de faire, il faut absolument l'essayer."

  • Écrit par : Julie Cadilhac

David LescotPar Julie Cadilhac - Lagrandeparade.com/ Auteur, metteur en scène et musicien, membre fondateur de la Coopérative d’écriture qui regroupe 13 auteurs (dont Fabrice Melquiot, Marion Aubert, Rémi De Vos, Pauline Sales…), artiste associé au théâtre de la Ville de Paris, David Lescot - dont les pièces sont traduites publiées et jouées en différentes langues - a reçu le Prix du Syndicat national de la critique en 2007, le Grand Prix de littérature dramatique et le prix Nouveau Talent Théâtre en 2008, le Molière de la révélation théâtrale en 2009 pour « La Commission centrale de l’Enfance » et le Prix de la Meilleure création en langue française du Syndicat de la Critique en 2015 pour « Ceux qui restent, ».


Attaché à un « théâtre des formes non-dramatiques », sa dernière création, « Une femme se déplace » mêle intrinsèquement les notes aux mots. C’est une comédie musicale «  où l’on chante, où l’on rit »  et qui raconte l’histoire d’une femme qui a l’étrange pouvoir de revisiter son passé pour tenter de modifier le présent mais qui peut aussi promener dans le futur. Est-ce une chance ou une malédiction?
Rencontre avec le démiurge de l’étonnant destin de cette femme en transit permanent.

Commençons par une question simple : quelle est votre comédie musicale américaine de prédilection?

Pour les numéros de danse, évidemment celles avec Fred Astaire. Mais pour la mise en scène, celles des années 50, plus tardives, celles de Vincente Minnelli (Brigadoon, Un Américain à paris, pour son tableau final), ou de Stanley Donen (Beau Fixe sur New-York, ou Chantons sous la pluie évidemment), avec Gene Kelly. Tous en scène de Minelli est une bonne synthèse, puisqu'elle réunit Minnelli et Fred Astaire, mais celui-ci ne peut plus danser comme dans les années 30 ou 40, il a 53 ans. Crépusculaire me plaît beaucoup.

Quelles sont, selon vous, les qualités nécessaires d’une bonne comédie musicale?
De bonnes chansons et de bons numéros de danse, liés par une histoire moins légère qu'elle en a l'air. Et un sens baroque de la mise en scène.

Quelles ont été vos sources d’inspiration ( livresques, cinématographiques, picturales…?) pour cette création lyrico-théâtrale?
Pour le voyage dans le temps, je suis tombé sur un film un peu oublié d'Alain Resnais : Je t'aime je t'aime, avec Claude Rich. Un homme dépressif à qui des scientifiques proposent de revenir une minute dans son passé. On revoir finalement toute sa vie, mais par bribes désordonnées. Ca m'a inspiré sur le plan de la dramaturgie.


Comment a été conçu le texte? Totalement en amont des répétitions? Conjointement à la musique?
J'ai effectué pas mal d'allers retours entre le plateau et l'écriture car nous avons eu quatre sessions de répétition qui se sont étagées de l'automne 2018 à l'été 2019. Pour les chansons c'est idem. L'histoire globale et les numéros chantés ont été écrits sur la même période. Mais quand j'écris une chanson je suspends l'avancée du récit, c'est très prenant.

Vous écrivez tout à la fois les partitions et les mots... le faites-vous avec la même aisance? Dans un ordre particulier? Selon les mêmes méthodes?
En fait, le démarrage pour une chanson c'est souvent l'articulation d'une phrase avec une mélodie. Tout-à-coup ça se marie dans ma tête et j'ai envie de développer. Ce sont des formes courtes les chansons, ça doit être très construit, ce sont des oeuvres finies, mais miniatures. Si j'ai de l'aisance pour en écrire je ne sais pas, mais c'est ce qui me procure le plus de plaisir. 


Comment est née l’idée de cette femme qui a l’étrange pouvoir de revisiter son passé pour modifier son présent?
Je crois de l'envie de raconter une vie entière en n'en choisissant que certains épisodes. Ce dispositif me permet de le faire. J'aime bien cette unité de temps : la vie. Aristote dit qu'une vie entière n'est pas un sujet possible pour le théâtre. Et ce qu'Aristote défend de faire, il faut absolument l'essayer. 


[bt_quote style="default" width="0"]Aristote dit qu'une vie entière n'est pas un sujet possible pour le théâtre. Et ce qu'Aristote défend de faire, il faut absolument l'essayer. 
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une femme se déplaceSi elle souhaite modifier son présent, c’est qu’elle a des regrets, qu'elle est insatisfaite…Souhaitiez-vous inciter le spectateur à réfléchir sur le fait que le regret est indissociable de la nature humaine? Existe-t-il des gens totalement satisfaits de leur parcours?...ou souhaitiez-vous au contraire faire de cette pièce un moyen de ré-enchanter la vie en soufflant au public : "tu peux vivre autre chose en te libérant de tes chaînes"?
En fait, elle pense que sa vie est parfaite, enviable, et dès le moment où elle a formulé cette satisfaction, lui tombe dessus l'équivalent des dix plaies d'Egypte.
Non, je ne veux pas inciter le spectateur à se libérer de ses chaînes, l'appeler à une réforme personnelle, mais plutôt rire de cette injonction actuelle à l'épanouissement individuel. Je milite plutôt pour une absence de modèle, pour mettre de l'imagination dans nos modes de vie, inventer des fonctionnements incongrus mais finalement pas plus absurdes que la triade conjugale, qui n'est pas la seule panacée possible.

« Après avoir éprouvé les potentialités et les implications existentielles, logiques et philosophiques de cette nouvelle aptitude, elle décide de l’utiliser afin de réformer son existence, d’expérimenter sur elle-même des modes d’organisation qui s’éloignent des systèmes canoniques, et notamment du modèle conjugal traditionnel. » Comment, concrètement, rendez-vous sur le plateau les interrogations théoriques qui précèdent la mise en pratique?
Il y a beaucoup de réflexions dans ce spectacle, sur nos moeurs, sur la famille, sur la place de la technologie dans nos vies. Elles font souvent l'objet d'une discussion, d'un dialogue, parfois sérieux, parfois absurde, et aussi de morceaux chantés, évidemment. La théorie, c'est un bon sujet pour un numéro de comédie musicale.

On lit dans votre note d'intention que le thème de la dette, qui structure les relations familiales et amoureuses, est prépondérant dans ce travail. Cette femme qui se déplace…aurait-elle pu tout aussi bien être un homme?...ou traitez-vous ici aussi des problématiques liées spécifiquement à l’émancipation féminine?

Il y a deux questions. La dette c'est un thème essentiel. C'est la première fois que j'aborde vraiment la question de la famille, des relations familiales, dans un texte de fiction du moins. Et la famille, c'est pour moi un réseau de dettes. Beaucoup d'anthropologues, qui s'intéressent à la question du don et de l'échange, la présentent comme cela, et je suis assez sensible à cette pensée. C'est ce qu'on appelle l'éthique relationnelle. Il y a un très bon livre là-dessus de Jacques Godbout : Le Don, la dette et l'identité.
Pour ce qui est du masculin et du féminin : non, ça n'aurait pas pu être un homme, j'avais envie de projeter cette histoire sur une femme, ça m'inspirait, tout simplement, j'avais besoin de ce décentrement. Mais c'est surtout un procédé d'identification. Lorsque j'écris l'histoire d'un enfant, je deviens un enfant. Idem pour une femme.

Qui avez-vous choisi pour interpréter cette femme qui se déplace? Et pourquoi cette comédienne en particulier?
Ludmilla Dabo, avec qui j'avais déjà réalisé Portrait de Ludmilla en Nina Simone. C'est une actrice magnifique, son éventail d'émotions est extrêmement large. Et c'est une chanteuse hors pair. Pour moi elle est l'actrice rêvée pour ce rôle. Je crois qu'on commence sérieusement ici et là à se rendre compte de son talent.

Enfin, pour conclure, vous dîtes : «  J’ai toujours cru que le théâtre le plus léger et le plus drôle pouvait receler des trésors de profondeur ». Dans quelle mesure, à l’heure où vous êtes confronté à cette question, avez-vous l’impression que votre création répondra à cette définition?
C'est une comédie musicale, donc un genre très divertissant, mais qui aborde des sujets existentiels ou sociaux qui sont tout sauf légers. Mais je voulais traverser des sentiments très divers, comme ceux qu'on éprouve dans la vie, où l'on ne respecte pas la séparation entre les genres.
Et puis je voulais faire quelque chose qui soit à rebours du tragique. Je suis gavé du tragique, qui fait un retour massif sur les scènes, ces temps-ci. Pour moi l'expression tragique, c'est la déploration, et je ne suis pas très client du mode déploratif.

[bt_quote style="default" width="0"]Je suis gavé du tragique, qui fait un retour massif sur les scènes, ces temps-ci. Pour moi l'expression tragique, c'est la déploration, et je ne suis pas très client du mode déploratif. [/bt_quote]

Une femme se déplace
Texte, musique et mise en scène : David Lescot
Chorégraphie : Glysleïn Lefever
Avec 15 comédiens, danseurs.ses, chanteurs.ses, musiciens.nes : Candice Bouchet, Emma Liégeois, Elise Caron, Pauline Collin, Ludmilla Dabo, Matthias Girbig, Alix Kuentz, Yannick Morzelle, Antoine Sarrazin, Marie Desgranges, Jacques Verzier, Anthony Capelli, Fabien Moryoussef, Philippe Thibault, Ronan Yvon
Collaboration artistique : Linda Blanchet
Direction musicale : Anthony Capelli
Scénographie : Alwyne de Dardel
Lumière : Paul Beaureilles
Son : Alex Borgia
Costumes : Mariane Delayre
Photos : Christophe Raynaud de Lage

Coproduction : La Filature - SN de Mulhouse, Théâtre de la Ville - Paris, Printemps des Comédiens, Théâtre de Villefranche, Théâtre de Sète - scène nationale de Sète et du bassin de Thau | Production : Compagnie du Kaïros | La Compagnie du Kaïros est conventionnée par le Ministère de la Culture - DRAC Ile de France au titre des Compagnies et Ensembles à Rayonnement National et International, du Jeune Théâtre National et de l’École Nationale Supérieure d’Art Dramatique de Montpellier Languedoc Roussillon | Production Véronique Felenbok et Marion Arteil | Diffusion Carol Ghionda.
©CHRISTOPHE RAYNAUD DE PAGE

Dates et lieux des représentations:
- Du 14 au 16 juin 2019 au Théâtre des 13 Vents, Domaine de Grammont dans le cadre du Festival du Printemps des Comédiens - Tel. +33 (0)4 67 99 25 00
- Du ven. 20/09/19 au sam. 21/09/19 à La Filature, Scène nationale – Mulhouse -Tel. +33 (0)3 89 36 28 28
- Du mar. 03/12/19 au mer. 04/12/19 au Théâtre de Villefranche - Villefranche-sur-Saône - Tel. +33 (0)4 74 68 02 89
- Du mer. 11/12/19 au sam. 21/12/19 au Théâtre de la Ville - Paris - Tel. +33 (0)1 42 74 22 77
- Du jeu. 27/02/20 au ven. 28/02/20 au Théâtre Molière à Sète - Tel. +33 (0)4 67 74 66 97

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