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Julien Bouffier : "J'aime le théâtre qui parle du monde d'aujourd'hui, qui m'aide à le percevoir."

Julien BouffierPar Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ Directeur de la compagnie Adesso e sempre depuis 1991 mais également du Festival Hybrides montpelliérain depuis 2009, Julien Bouffier, comédien et metteur en scène, n'a de cesse d'explorer de nouveaux textes, de nouveaux dispositifs scéniques, de nouveaux médias pour contribuer à l'évolution d'un théâtre résolument contemporain. Sa route a donc naturellement croisé le texte de Pascal Rambert, "L'art du théâtre", publié en 2007, dans lequel l'auteur exprime son refus du théâtre conventionnel, celui avec un "T" majuscule, dans lequel gravitent les "acteurs habituels" et leur "grande bouffonnerie", ceux qui ne pensent qu'à reproduire, imiter, comme font les chiens avec leurs maîtres, et qui milite, au contraire, pour un théâtre vivant et qui se nourrit de la chair du présent. Pour porter ce texte aussi vindicatif qu'incisif, Julien Bouffier a réuni deux Alex. Alex Selmane à la " puissance d'acteur (qui) va vous carboniser sur place", celui qui vient raconter ses salades à Alex Jacob, le cocker musicien, qui répond en cordes vibrées aux questions existentielles du premier. Une véritable et paradoxale déclaration d'amour à un théâtre qui doit faire "jouir", dont " le seul partenaire, c'est le présent" et qui veut bien " mourir sur les lèvres des illusions des jeunes filles".

Julien Bouffier a imaginé une mise en scène attirante où les clivages entre les arts sont gommés, une composition étonnante "de fumée et de larmes", de vérités et d'humour, de cinéma, de danse et d'écriture...On l'écoute!

Quelle a été la genèse de ce projet? une rencontre avec Pascal Rambert?
Je connaissais l'écriture de Pascal Rambert depuis longtemps. J'avais vu des spectacles de lui. Et puis, un jour, j'ai entendu la lecture du "Début de l'A" à la Mousson d'été: ça a été un coup de foudre. J'ai cherché à le rencontrer. J'ai monté ce texte "Le début de l'A" qu'on a joué beaucoup. Et à partir de là, nous ne nous sommes pas vraiment perdus de vue. Nous l'avons invité à faire un atelier avec des acteurs à Montpellier avec "Changement de Propriétaire" puis je l'ai invité dans le festival Hybrides. Il devait même venir l'année dernière dans la dernière édition du festival annulée. Mais pour "L'art du théâtre", je l'avais depuis longtemps dans ma bibliothèque et je ne l'avais jamais lu. Et comme ma bibliothèque est dans le couloir, je passe souvent devant. Et je m'y arrête souvent. Je flâne devant! Et je ressors des livres qui n'ont jamais été ouverts ou trop peu, ou certains que je prends régulièrement pour monter et que je replace à un endroit particulier (en attente!). Donc, j'ai lu et cela a été tout de suite très clair qu'il fallait le monter maintenant et avec Alex Selmane. Je n'ai pas vu quelqu'un d'autre. C'était lui.

Un homme donne une leçon de théâtre à son chien...l'idée de faire de l'animal un musicien s'est-elle imposée à vous très vite?
Non, nous avons longtemps pensé qu'il y aurait tout de même un chien, même avec Alex Jacob, le musicien. Je ne voulais pas que ce soit trop évident que le musicien soit le chien. Le chien, c'est un peu tout le monde. C'est celui à qui on se confie sans crainte qu'il nous contredise et qui aime, qui aime sans explication!

C'est un texte, empreint de désillusions et au propos incisif, qui critique notamment " les acteurs habituels"....une opinion que vous partagez pleinement, on suppose? Vous connaissez beaucoup d'"acteurs habituels"?
Vous voulez la liste? Alors A comme Alex… Non, c'est pareil, nous pouvons tous être des acteurs habituels. C'est très compliqué de ne pas l'être. Et là-dessus Rambert est très ironique. Il ne se met pas au-dessus du lot. Il critique surtout une manière de faire du théâtre et dont l'acteur n'est pas forcément responsable. Pascal Rambert est une personnalité très compliquée à cerner. Mais je pense que dans ce texte, étrangement pour un texte qui parle d'un acteur qui parle du théâtre, il demande au théâtre de ne pas se regarder le nombril mais d'être ouvert sur le monde. De ne pas faire du théâtre pour se faire du bien à soi.

Si vous deviez définir le type de théâtre qui vous intéresse, que diriez-vous? ou peut-être est-ce plus facile de qualifier celui que vous détestez?
Le théâtre qui cherche avec toujours la question de la réception du public dans le rétroviseur. Ne pas les perdre. S'il n'est plus dans le rétro, faut ralentir, s'arrêter sur le bord et boire un café! Evidemment les images, la manière dont elles agissent sur notre perception de spectateur, me passionnent. J'aime le théâtre qui parle du monde d'aujourd'hui, qui m'aide à le percevoir. Je ne dis pas "comprendre" car il est bien trop complexe que je préfère que le théâtre soit un lieu aussi du sensible. Donc, cela peut m'être égal de comprendre. Par exemple récemment j'ai vu "Tauberbach" de Platel, je n'ai rien compris. Je ne savais pas de quoi ça parlait mais j'ai embarqué avec le spectacle. Je me suis fait des films. Cela m'a beaucoup inspiré. Et quand j'ai lu la feuille de salle après le spectacle, je me suis dit que je n'étais pas loin de ce qu'il avait voulu montrer. Mais oui, le théâtre Hybrides que j'ai voulu défendre avec mon festival est celui qui m'intéresse le plus. Un acteur tout seul sur un plateau vide qui me fait un monologue, c'est rare que cela me fascine. Mais j'aime le théâtre et j'y vais énormément. Je crois que les gens qui pratiquent ce métier n'y vont pas assez.

Ce texte est aussi paradoxalement une déclaration d'amour au théâtre et au public...quel est votre meilleur souvenir de comédien? de metteur en scène?
C'est ennuyeux de n'en choisir qu'un, surtout pour mes spectacles. Pour mon meilleur souvenir de comédien, c'est "Hernani" que nous avons créé au Théâtre de Sète et dont je jouais le rôle-titre.  C'était l'aboutissement de mes rêves adolescents. En ce qui concerne les mises en scène, à chaque fois, elles sont liées à des rencontres. Je pourrais vous parler de "Suerte"quand la femme du braqueur de banque, alors en prison, qui racontait son histoire dans ce livre que je mettais en scène, est venue voir le spectacle et où elle a confondu l'acteur et son mari, ou bien les larmes de Charles Piaget devant notre spectacle sur les LIP, ou celles des Photoreporters devant les "Témoins". Mais évidemment, l'aventure la plus émouvante fut celle des "Vivants et des morts" de Mordillat car le spectacle était très long avec une grosse équipe artistique et que nous défendions une histoire humaine qui nous bouleversait.

Comment votre choix s'est-il porté sur les deux Alex?
Pour Alex Selmane, ce n'était donc pas un choix mais une apparition! Pour Alex Jacob, simplement le désir de retravailler avec lui. Ensuite, c'est une grande chance de pouvoir travailler avec ces deux interprètes. Il sont vraiment très forts, très généreux et très particuliers. Leur entente a été quasi-immédiate et je suis très heureux de ce couple de scène qui fonctionne merveilleusement bien.

Pour conclure, un mot sur la scénographie?
Je voulais mettre cet acteur en situation. Qu'il répète Lorenzaccio. Ou qu'il soit sur le point de le jouer. C'est comme ça qu'est venue l'idée de ce plateau de théâtre qui nous tourne le dos. En effet, sa pente qui, normalement, est dirigée vers le public, ici, nous avons voulu la tourner vers le fond de scène. Elle est ainsi masquée et ce n'est qu'une caméra vidéo qui est en fond de scène qui nous la découvre. Et sous ce plateau de théâtre, il y a le tombeau de tous les personnages que cet acteur a joué, tous les fantômes du théâtre. En même temps, rien n'est si clair que ça. C'est au spectateur de se faire sa petite histoire.

L’Art du Théâtre - Création 2015
De Pascal Rambert
Mise en scène : Julien Bouffier
Avec Alex Selmane et Alex Jacob
Scénographie: Emmanuelle Debeusscher et Julien Bouffier


Création musicale : Alex Jacob / Vidéo:  Julien Bouffier /  
Lumières: Christophe Mazet

Dates des prochaines représentations:

Vu le 30 septembre 2015 au Théâtre d'Ô - Montpellier

- Les 10,11 et 12 décembre 2015 au Théâtre Jean Vilar de Vitry-sur-Seine
- Les 17,18 et 19 février 2016 à Sortie Ouest à Béziers (34)

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