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End/igné : tous les feux, le feu

  • Écrit par : Christian Kazandjian

endignéPar Christian Kazandjian - Lagrandeparade.fr/ End/igné, le cri d’une génération sacrifiée dans l’Algérie des années de plomb. Moussa travaille à la morgue de Balbala. Moussa a une mère, qui en bonne maman l’appelle à tout bout de champ. Moussa a un ami, Aziz. En somme, tout pour être tranquille loin des soubresauts d’une Algérie en ébullition. Sauf que les cadavres dans leur casier réfrigéré évoquent, par leur silence, leurs souffrances, leur fin. Et ils donnent à Moussa l’occasion de transformer les longs monologues auxquels le condamne sa condition de reclus en conversations fictives. Et puis, il y a Aziz avec qui il doit écrire un livre à partir de ses élucubrations enregistrées sur dictaphone. Aziz, le Zorro de la wilaya, le héros du petit peuple qui fait tourner en bourrique tous les notables, et autres stipendiés de l’administration. Moussa parle, parle : de sa pauvre vie, des coupures d’électricité, des maux dont souffre le pays sous la coupe des militaires et des prédicateurs barbus, qu’il défie en parfait mécréant ; de rêves perdus et de regrets. Il témoigne pour toute une génération sacrifiée. Presque la routine. Jusqu’au jour où on livre le cadavre calciné d’Aziz qui s’est immolé dans l’enceinte du tribunal qui le jugeait pour son « crime » : la prétention de vouloir bousculer l’ordre établi. Il ne supportait plus de n’être qu’un « suivant » de plus dans le troupeau humain. Il se donne la mort pour vivre enfin, dans le souvenir des autres. Moussa laisse éclater une colère plus froide encore que ses habituels coups de gueule. Il en veut à son ami qui le laisse seul. Il a, certes, l’habitude de la solitude parmi les morts, mais là le coup est trop fort : il ne verra plus l’ami de toujours. Il devient alors ce frère qui affronte la société, le tribunal. Il accuse, gronde, donne à son geste tout le poids symbolique que la volonté de se brûler vif implique. Redevenu Moussa il dédie à l’ami, à la jeunesse, à l’Algérie, un émouvant requiem poétique, un message, d’espoir peut-être, à tous ceux qui préfèrent « affronter le feu que vivre en enfer ». Le feu, omniprésent, traverse le texte, la scène : flamme du briquet, bougies funéraires comme autant de brandons de vie, comme autant d’astres au firmament. Elément ambigu dans sa dualité, le feu réchauffe et détruit : le monde n’est-il pas né de l’ignition du vide et ne doit-il pas, selon les récits d’apocalypse, périr dans un immense brasier ? La fin par le feu : End/igné.

Le texte de Mustapha Benfodil est d’une force tellurique. Alliant trivialité et profondeur de propos d’un petit gars du peuple, il s’adresse, sans pathos, à la jeunesse d’un pays qui sombre. Ce n’est pas pour autant un manifeste politique. Il s’agit de poésie pure, cet acte d’écrire et de dire qui n’a pas à vocation changer le monde, mais aide à déciller le regard. La performance de Azzedine Benamara, bloc de violence contenue, d’ironie picaresque, de sensibilité, en restitue les nuances et les aspérités. Chaque épisode du récit est ponctué d’une pose aux attitudes outrées : il s’agit d’arrimer au souvenir un instant intense de vie, de fixer l’image d’un corps qu’un aléa peut réduire à cendres. End/igné : le cri d’un pays, d’un peuple, entre indignation et révolte.

End/igné 
Texte : Mustapha Benfodil
Adaptation et mise en scène : Kheireddine Lardjam
Avec Azeddine Benamara
Scénographie : Estelle Gautier
Création lumière : Manu Cottin
Création son  :Pascal Brenot
Production : Cie El Ajouad
Coproduction : l'Arc - Scène Nationale le Creusot, le Conseil régional de Bourgogne et le Département de Saône et Loire
Avec le soutien des Scènes du Jura et l'Institut français en Algérie

Dates et lieux des représentations : 
- DU DIMANCHE 7 OCTOBRE AU MARDI 27 NOVEMBRE 2018, le lundi et le mardi à 19h15, le dimanche à 15h au Théâtre de Belleville, Paris 11e (01.48.06.72.34)


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