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Ich Bin Charlotte : le travesti qui a traversé l'Histoire ou Charlotte et la question du genre

  • Écrit par : Guillaume Chérel

Ich bin charlottePar Guillaume Chérel - Lagrandeparade.fr/ Inspiré d'une histoire vraie, ce texte de Doug Wright, qui a reçu le Prix Pulitzer du texte dramatique, fut l'une des révélations du dernier festival d'Avignon. La pièce retrace l'enquête, semée de mystères, par deux amis Américains pour tenter de comprendre comment Charlotte von Mahlsdorf (né Lothar Berfelde), une femme, née garçon en 1928, piégée dans un corps d'homme, et devenue une icône de la pop culture berlinoise, a pu survivre au régime nazi...

puis sous la Stasi (période RDA communiste). Charlotte est une énigme : comment a-t-elle pu traverser les heures sombres des pires dictatures sans jamais dissimuler son travestissement ? Comment a-t-elle pu collectionner des antiquités, et ouvrir un cabaret clandestin (Marlène Dietrich y est passée), dans les années 50, puis s'exiler quelques années ? Son « musée » a même servi de refuge aux homosexuels allemands, durant des années... Entre fascination et scandale, ce personnage fascinant de la société contemporaine, a pris le risque de vivre une existence libre, subversive, malgré le chaos de l'Histoire.
Seul en scène, Thierry Lopez se démultiplie et joue une dizaine de personnages : l'insaisissable Charlotte von Mahlsdorf, évidemment, mais aussi les américains sceptiques, les amis, ennemis, journalistes curieux... Quelle est la vérité ? Comment devenir et rester soi, face à d'impossibles choix ? Charlotte n'aurait-elle pas dénoncé son prochain pour survivre ? Alors que c'est manifestement tout le contraire... Charlotte von Mahlsdorf questionne avec ses faux-semblants et ses non-dits. La mise en scène de Steve Suissa recrée une atmosphère confinée (un mini musée d'antiquités) semblable à celle d'un cabinet de curiosités, où chaque objet est l'occasion de raconter un épisode de cette saga où se croisent la petite et la grande histoire, ainsi que l'intime et l'universel.
Une forêt de gramophones égrène la scène, comme un champ de tournesols. Vêtue d'un justaucorps et d'une longue jupe noire, camouflant un bustier et des porte-jarretelles, Charlotte von Mahlsdorf (alias Thierry Lopez) trône en son domaine : le Gründerzeit Museum, situé en plein cœur de la capitale allemande. Passionnée d'art et de meubles datant de la fin du XIXe, elle a amoncelé des merveilles de mécanique, dont les gramophones de Pathé Marconi, qu'elle a pu sauver des griffes du régime nazi : ces objets maléfiques étaient censés engendrer de l'art de dégénérés ; comme le jazz.
Avant cela, Charlotte... a tout simplement tué son père nazi, autoritaire et violent. Dès l'âge de 16 ans, ce travesti, qui déambule en hauts talons dans les rues de sa ville natale, passe quatre ans en prison. Toute sa vie durant, elle a assumé son identité transgenre, ce, à une époque où elle était pionnière, malgré les persécutions subies par la communauté LGBT.
Fatiguée de subir la question sur sa prétendue collaboration avec le régime communiste, la mystérieuse Charlotte s'est d'abord exilée en Suède, avant de revenir... affronter les skinheads, aidée par la communauté lesbienne (sic !). Sans jamais tomber dans le pathos, ou le trip Cabaret, Thierry Lopez campe une Charlotte touchante, pétillante et solide, sans jouer les vampes fofolles. Son humour fait mouche. Car il a bien fallu relativiser pour supporter l'insupportable. Ce spectacle, accueilli avec chaleur par Philippe Tesson au Théâtre de poche, livre une belle leçon de tolérance et d'humanité, à une époque où la bête immonde renaît de ses cendres en Allemagne de l'Est. Le moment est bon pour rappeler que chaque sexe peut choisir son genre... Et que l'amour, donc la tolérance, finit toujours par vaincre avec le temps.

Ich Bin Charlotte
Auteur : Doug Wright
Adaptation : Marianne Groves
Mise en scène : Steve Suissa
Avec Thierry Lopez

Dates et lieux des représentations : 
- Jusqu'au 4 novembre 2018 au Théâtre de Poche Montparnasse ( 75, boulevard du Montparnasse - Paris ) , du mardi au samedi 21 h – Dimanche 15 h. Résa au 01 45 44 50 21 / www.theatredepoche-montparnasse.com

Prolongations jusqu'au 10 juillet 2019 - Nomination pour le Molière 2019 du meilleur « seul en scène »

 


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