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Les bonnes : une cérémonie d’amour et de haine

bonnesPar Christian Kazandjian - Lagrandeparade.fr/ Avec Les bonnes, Jean Genet explore les méandres de l’âme humaine et ses éclats. Théâtre de la cruauté. Le rideau coulisse. Le spectacle peut commencer. Claire et Solange, deux sœurs travaillant chez une bourgeoise –Madame- vont jouer un drame, leur drame, celui de deux servantes enfermées dans leur rôle de petites mains au service d’une femme riche. Elles jouent le mépris qu’exprime chaque geste, chaque parole de leur patronne : on jette négligemment les robes que les bonnes seront chargées, d’épousseter, de nettoyer et de raccrocher aux cintres. Les deux sœurs se jettent en gueule des insultes traduisant leurs rapports avec leur maîtresse mais également leurs propres rapports : amour-haine, admiration-mépris, attirance-rejet, dangereux cocktail aux parfums de mort. Le jeu ne peut que conduire à une issue tragique ; l’unité de lieu et de temps rend la tension plus douloureuse. Claire, la plus jeune, boule incandescente de passion retenue joue Madame. Elle, la cadette prend à cet instant l’ascendant sur son aînée. La pièce, ourdie de long temps doit s’achever ce soir même par l’assassinat de la maîtresse, tourneboulée par l’arrestation de son amant, Monsieur, faussement dénoncé par la lettre anonyme qu’elles ont écrite. Sur le point d’être découvertes, les deux sœurs conduisent le drame à son terme : Claire boit la tisane empoisonnée que devait avaler Madame, faisant de sa sœur la meurtrière chargée de porter la culpabilité et la douleur de la perte de sa jeune sœur. Comme si, le statut de domestique ne pouvait, dans nos sociétés, ouvrir le droit à la justice et la réparation. Il est bien question, chez Genet, avec Les bonnes, de rapport de classe, rapports que régit la violence des possédants. Les nantis voient à peine ceux qui les servent : corps réduits à deux bras, corps qu’on tient éloigné de soi, corps qui sentent la cuisine et la mansarde où ils sont confinés, leur tâche achevée. Dans la mise en scène de Mathilde Chabin-Guignard, le rôle de Claire est tenu par un homme. Les deux sœurs portent des justaucorps noirs, sont coiffées de bonnet masquant leur chevelure, vêtements visant à gommer leur personnalité, leur sexe. Ainsi apparaissent-elles aux yeux de leur maîtresse. Cette dernière les accable de sa morgue, de ses caprices, leur concède de petits cadeaux, une place à l’église à ses côtés : elle en use comme objets, comme animaux domestiques voués à la servir et, en sus, à l’aimer. Le décor repose sur une ottomane, des portants croulant sous les robes rouges et blanches de grands couturiers ; ces quelques éléments soulignent la frivolité de la propriétaire des lieux, la vacuité de tout sentiment, autre que de domination, envers deux servantes en quête d’une reconnaissance qu’on nie aux humbles. Le meurtre les élèvera au rang de protagonistes de leur destin, fût-il des plus tragiques, d’être enfin humains dans leurs faiblesses et leurs désirs. Une pièce d’actualité à l’heure où de pseudo valeurs morales rances reviennent en force sur le devant de la scène politique et sociale. Un beau travail théâtral.

Les bonnes de Jean Genet
Mise en scène de Mathilde Chabin-Guignard
Avec Delphine Audrey, Jude Marin, Frédérique Sorel

Dates et lieux des représentations: 
-Jusqu’au 22 novembre 2018 au Guichet Montparnasse, Paris 14e (01.43.27.88.61) tous les jeudis à 19 heures 

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