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Guy Pierre Couleau : "Ce texte est une expérience, au-delà d’un spectacle."

Conférence des oiseaux Par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ Directeur de la Comédie de l'Est, CDN d'Alsace, depuis 2008, Guy Pierre Couleau, après avoir débuté au théâtre en 1986 et été dirigé par Daniel Mesguich, Stéphanie Loïk ou encore Agathe Alexis, se tourne très vite vers la mise en scène : il a notamment monté des textes de Yasushi Inoué, Anna Seghers, Thomas Bernhard, John M.Synge, Sue Glover, Wajdi Mouawad, Fabrice Melquiot...ou encore Albert Camus, Jean-Paul Sartre ou encore Molière. 

En 2000, il crée sa compagnie " Des lumières et des Ombres". Pour l'édition 2018 du Printemps des Comédiens, on lui a demandé de mettre en scène "La Conférence des Oiseaux " de Jean-Claude Carrière ( auteur, réalisateur et Président du Printemps des Comédiens)  qui n'avait pas été montée depuis 1979 au cloître d'Avignon. C'est Peter Brook, alors, qui avait fait vivre ce célèbre conte soufi du Persan Farid Uddin Attar. Ce dernier raconte comment un groupe d’oiseaux, à la recherche de leur roi, le mystérieux Simorg - un oiseau si magnifique qu'aucun regard humain ne peut en soutenir la vue - se mettent en route et traversent de nombreux obstacles au cours desquels la plupart laissent la vie. A leur arrivée, ils comprennent que le Roi recherché s’est identifié à chacun d’entre eux, en est une synthèse en quelque sorte. Guy Pierre Couleau refait s'envoler sur les planches cette parabole superbe de la condition humaine et nous l'avons rencontré... 

Et on l'a vue le dimanche 24 juin ! Voilà une parenthèse théâtro-philosophique remarquablement mise en scène! Guy Pierre Couleau y fait preuve d'une inventivité admirable qui rend le texte de Jean-Claude Carrière - pourtant ambitieux de par son propos et ses nombreuses paraboles - extrêmement audible. A la fois drôle et esthétique, cette pièce, dans le cadre magique et naturel des micocouliers du Domaine d'Ô, séduit par la qualité du travail corporel des interprètes - qui se meuvent comme de véritables oiseaux, la beauté saisissante des masques, les allers-retours constants entre les voix des narrateurs et celles des protagonistes ailés de cette aventure incroyable et l'harmonie constante des divers tableaux proposés. Cette création use à la fois de chants, de mouvements collectifs chorégraphiés et d'accessoires simples pour nous plonger constamment dans les nouvelles histoires énigmatiques qui parcourent cette épopée aviaire. Que c'est beau et puissant d'y entendre résonner des accents provenant de divers pays : diversité des langues, pluralité des espèces !Que c'est enthousiasmant cette soirée privilégiée en compagnie d'une huppe, d'un paon, d'un canard, d'un moineau etc. pour essayer de réfléchir encore et toujours au sens mystérieux de la vie!...Guy Pierre Couleau et sa troupe ont réussi à exprimer avec brio la profonde humanité de cette Conférence des oiseaux qui, comme le phénix, renaît de ses cendres, chaque soir, pour nous apprendre à faire tomber les masques et à nous dévêtir de nos peurs pour arriver jusqu'à nous-mêmes...

couleauPour travailler sur cette adaptation de Jean-Claude Carrière, vous êtes-vous penché aussi sur le conte soufi original? Et si oui, qu’est-ce qui vous semble intéressant dans la manière dont Jean-Claude Carrière l’a adapté? Et donc…qu’est-ce qui vous a donné envie de monter cette pièce?
Oui bien sûr je me suis intéressé à la version originale du texte qui est extrêmement intéressante et très dense. C’est un long poème de milliers de vers qui fait référence pour des siècles et des millions de personnes. Ce texte, un peu à l’image et l’égal du Mahabaratha, est une des sommes de la connaissance pour une partie de notre planète et de sa population. Jean-Claude Carrière en a tiré ce récit théâtral qui est merveilleux, dans sa structure, sa vivacité, son style et ses mouvements. 
Il y a deux choses fondamentales dans ce texte : la profondeur et la légèreté.  Au théâtre, ce sont deux alliés de choix pour les acteurs et le metteur en scène. 
Mais ce qui m’a donné le plus envie de monter ce texte, c’est l’écho intérieur que j’y ai trouvé. La nécessité de partir ailleurs pour trouver une vérité, pour découvrir peut-être ce qui gouverne ma démarche personnelle face à la société, face au théâtre, face aux autres.

[bt_quote style="default" width="0"]Ce qui m’a donné le plus envie de monter ce texte, c’est l’écho intérieur que j’y ai trouvé. La nécessité de partir ailleurs pour trouver une vérité, pour découvrir peut-être ce qui gouverne ma démarche personnelle face à la société, face au théâtre, face aux autres.[/bt_quote]


La conférence des oiseaux est un récit initiatique ; une parabole de la condition humaine qui narre comment des oiseaux partis à la recherche d’un roi ne trouveront qu’eux-mêmes, c'est bien cela?  Que retenez-vous personnellement de ce conte philosophique? 
J’en retiens surtout l’impossibilité de savoir quoi que ce soit de définitif pour ce qui concerne la vie. Aller vers soi-même et se découvrir pour ce que nous sommes, n’est-ce pas le chemin que nous faisons tous ? Parfois sans le savoir. Ce texte est une expérience, au-delà d’un spectacle. Ce que nous vivons avec les acteurs qui sont en répétitions avec moi dépasse le cadre d’un spectacle ordinaire. Nous sommes chaque jour plongés dans des questionnements essentiels et parfois très ludiques sur notre pratique, sur notre façon de faire du théâtre.

C’est un texte qui n’a plus été mis en scène en France dans des cercles professionnels depuis 1979 à Avignon. Comment expliquez-vous cela? 
Je ne sais pas. Sans doute parce que la référence de Peter Brook est écrasante. Peut-être parce que c’est un texte très difficile à comprendre. Certainement parce que les questions qui s’y trouvent posées doivent ressurgir actuellement avec davantage de nécessité qu’à d’autres moments. 

Avez-vous vu l’adaptation de Peter Brook? Avez-vous souhaité rendre hommage de quelque manière à cette création ou, au contraire, n’en avez-vous pas pris connaissance par volonté d’être libéré de toute image, de tout artifice choisi par un autre?
Je l’avais vue quand j’étais lycéen. Mais je n’en ai pas beaucoup de souvenirs. Sauf d’un moment très beau aux Bouffes du Nord et auquel je n’avais pas compris grand chose. Mais vous savez, j’étais plus inconscient des choses que maintenant et je découvrais le théâtre aussi. 
Il n’existe pas de vidéo du spectacle et de plus je n’ai pas souhaité chercher des images ou des documents sur cette mise en scène. Parce que la vraie nécessité pour moi avec ce projet c’est de me faire mon propre chemin, de parler de ma propre voix et de dire ce que j’ai à dire avec ce texte pour mon époque, de façon la plus personnelle possible. Je suis très respectueux du texte de Carrière parce que je l’aime beaucoup. Cette pièce me parle énormément dans sa simplicité, sa profondeur, son discours, son intention. 

conférence des oiseaux

[bt_quote style="default" width="0"]Cette pièce me parle énormément dans sa simplicité, sa profondeur, son discours, son intention. [/bt_quote]


oiseaux On lit dans votre note d’intention qu’ «au fil du récit, les oiseaux se débarrassent de leurs plumes et de leurs becs pour devenir des humains » et que « c’est certainement ce qui devra guider le travail et conduire les acteurs à passer d’une gestuelle animale à leur propre corps de femmes et d’hommes ». Comment avez-vous travaillé ce travail du corps avec les comédiens..un travail d’autant plus important que les comédiens portent des masques!
Ce serait long à décrire le travail physique que nous faisons. Nous sommes aidés en cela par une magnifique chorégraphe qui est Catherine Dreyfus. Elle nous aide à préciser les physicalités que nous inventons et à pouvoir les porter plus largement. C’est passionnant. Mais c’est vraiment ça dans le spectacle : il faut avoir deux corps et pouvoir en changer. Celui d’un humain, et celui d’un oiseau. Alors, nous essayons d’éviter les clichés et d’être vrais, le plus possible d’offrir à voir une vérité. Avec le masque on ne peut jamais tricher dans le jeu. C’est une leçon de chaque instant.

[bt_quote style="default" width="0"]Mais c’est vraiment ça dans le spectacle : il faut avoir deux corps et pouvoir en changer.[/bt_quote]

Concernant la distribution, quels ont été vos choix? 
Ce sont des acteurs compagnons de route pour certains et d’autres que j’ai vus jouer et avec qui je travaille pour la première fois. Ils viennent aussi avec leurs cultures, des quatre coins du monde. Je me fie toujours aux caractères des acteurs avec qui je travaille. Faire une distribution au théâtre, c’est une émulsion. On met face à face des caractères et on fait en sorte que l’acteur, l’actrice apporte quelque chose au personnage. Et peut-être qu’au bout d’un moment, c’est le personnage qui donne quelque chose à son acteur…?

[bt_quote style="default" width="0"]Faire une distribution au théâtre, c’est une émulsion. On met face à face des caractères et on fait en sorte que l’acteur, l’actrice apporte quelque chose au personnage. Et peut-être qu’au bout d’un moment, c’est le personnage qui donne quelque chose à son acteur…?[/bt_quote]


Sur scène, « il faudra des acteurs-conteurs, capables de passer d’une adresse directe aux spectateurs à l’incarnation sur scène du récit ». Quelles qualités sont-elles nécessaires pour être un acteur-conteur pertinent pour Guy Pierre Couleau?
L’humanité et la souplesse mentale. Vous savez, je n’ai jamais théorisé sur ce que je cherchais de qualités chez les acteurs. Mais une chose qui m’attire, c’est leur humanité. Leur capacité à s’émouvoir, s’intéresser au monde, aux autres. Leur capacité à être au présent sur la scène et dans un rapport direct avec l’auditoire. Leur capacité à être plus qu’à jouer. 

l'amour rend les choses difficiles

Enfin, si vous deviez conclure avec un passage de la pièce, lequel serait-ce?
Il y en a beaucoup qui me plaisent mais j’en choisirai un puisqu‘il le faut :
[bt_quote style="default" width="0"]Puisque des milliers de mondes sont réduits en poussière, serait-il extraordinaire que le monde où nous habitons disparaisse lui aussi?[/bt_quote]

oiseauxLa conférence des oiseaux

Récit théâtral de Jean-Claude Carrière, inspiré par le poème de Farid Uddin Attar «Manteq Ol-Teyr»
Mise en scène : Guy Pierre Couleau
Assistante mise en scène : Christelle Carlier
Collaboratrice artistique : Carolina Pecheny
Scénographe : Delphine Brouard
Lumières : Laurent Schneegans
Création masques : Kuno Schlegelmilch
Assistante masques : Helène Wisse
Costumes : Camille Pénager
Musique : Philippe Miller
Régie générale : Alexandra Guigui
Avec : Manon Allouch, Nathalie Duong, Cécile Fontaine, Carolina Pecheny, Jessica Vedel, Emil Abossolo M’Bo, Luc-Antoine Diquéro, François Kergourlay, Sharokh Moushkin Galam, Nils Öhlund
Photos de l'atelier : Serena Carone / photos du spectacle : Marie Clauzade

Production : Comédie De l’Est - Centre dramatique national d’Alsace, subventionné par le ministère de la Culture et de la Communication DRAC Grand Est, la Ville de Colmar, la Région Grand Est et le Conseil départemental du Haut-Rhin | Coproduction : Le Printemps des Comédiens, La Manufacture - Centre dramatique national Nancy-Lorraine, le Centre dramatique de l’Océan Indien

Dates et lieux des représentations : 

- Du 22 au 30 juin 2018 à l'Espace Micocouliers du Domaine d'Ô - Printemps des Comédiens ( 34)

- Du 2 au 19 octobre 2018 à La Comédie de l'Est

- Du 11 au 22 janvier 2019 au Théâtre des Quartiers d'Ivry

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